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bas-bleus et Écrivaines à spa
au 18e siècle
Conférence de DANIEL DROIXHE
Les Listes des Seigneurs et Dames qui sont venus à Spa enregistrent chaque année, dans la seconde moitié du 18e siècle, des centaines de visiteurs parmi lesquels l’ouvrage Ladies of the Grand Tour, de Brian Dolan (2001), distingue une galerie de personnalités appartenant au mouvement féministe des bluestockings. On prendra comme modèles les plus radicaux Elizabeth Montagu, consacrée « reine des bas-bleus », et son amie Elizabeth Carter. Celles-ci s’installent en 1763 à l’hôtel du roi de Prusse. Elles figurent dans le tableau intitulé Portraits in the Characters of the Muses in the Temple of Apollo, où Richard Samuel a réuni en une même assemblée, au 18e siècle, les artistes et intellectuelles les plus célèbres de son temps.
Après avoir rappelé brièvement l’oeuvre et l’action des Ladies Montagu et Carter, on évoquera une des premières voyageuses qui les suivirent à Spa : Mary Coke (1726-1811), qui descend en 1764 au Moriane ou Grand Moriane (établi dans un des immeubles spadois du 18e siècle les mieux conservés), avant de s’installer en 1767 au Roi de Prusse. On suggérera, à cette occasion, une cartographie locale des lieux auxquels est lié le souvenir d’un « bobelin » particulièrement intéressant, du point de vue de l’histoire culturelle du siècle des Lumières. Mary Coke n’a pas laissé d’œuvre littéraire proprement dite, en dehors des quatre volumes de ses Letters and Journals, édités à Edimbourg de 1889 à 1896 et republiés en 1970. Ceux-ci donnent une idée de fréquentation de la cité balnéaire à l’époque du prince-évêque d’Oultremont, mais la biographie de Mary Coke fournit surtout l’image d’une femme choisissant le voyage comme moyen d’échapper à un mariage « désastreux ».
L’affranchissement que constitue la pérégrination européenne du Grand Tour permet l’affirmation d’une liberté, voire d’un libertinage, que l’historiographie a parfois attachés à la figure de la « bas-bleu ». Cette revendication libertaire s’inscrit parfois dans un parcours politique déterminé, comme c’est le cas pour Frances Crewe (1760-1818), qui visite Spa peu avant la Révolution. On ébauchera le tableau de son activité intellectuelle dans le cadre de Crew Hall, où elle accueille Edmund Burke, Joshua Reynolds, qui fait son portrait, et le dramaturge irlandais Richard Sheridan, qui lui dédie The School for Scandal (1777), avec lequel elle entretint une relation dépassant la simple amitié. On décrira par ailleurs, sur la base d’un manuscrit inédit, le voyage qu’accomplit en 1776, sous le règne moderniste du prince-évêque Velbruck, Mary Hamilton, plus tard engagée dans le cercle des bas-bleus tenu par Elizabeth Vesey.
Les écrivaines anglaises et françaises occuperont la seconde partie de la conférence. On mettra en évidence le roman de Georgiana Spencer Cavendish, duchesse de Devonshire, intitulé The Sylph, qui raconte en 1778 un échec matrimonial suivi d’une descente dans l’enfer du jeu. Georgiana Spencer, une habituée du séjour estival à Spa, où l’accueillait l’hôtel du Cornet, établissement plus spécialement fréquenté par les joueurs britanniques, a été popularisée par The Duchess, film de Saul Dibb sorti en 2008. On s’attachera aussi aux séjours de Madame de Genlis ou de la « comtesse de Choiseul-Meuse », qu’on identifiera éventuellement avec Félicité de Choiseul-Meuse, auteure de « romans passionnels à connotation érotique » (Amélie de Saint-Far, Julie ou J’ai sauvé ma rose, Paris ou le Paradis des femmes, Elvire ou la Femme innocente, etc.). On proposera en conclusion de considérer Spa non seulement comme un lieu de réunion mondaine, mais comme un espace d’expérimentation moderne de relations libérées entre hommes et femmes, dans le cadre cependant très réduit d’une aristocratie travaillée par les dérives «sensibles » et dangereuses du roman de Choderlos de Laclos.
Conférence organisée par le FER Ulg
Lundi 12 novembre 2012, 18h00
Maison Renaissance de l’Émulation, 9 rue Charles Magnette, 4000 Liège
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