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Quand Mary Hamilton
rencontrait Grétry
Par DANIEL DROIXHE
On sait que Grétry, lors de son retour à Liège en 1776, passa une partie du mois d’août en visites au prince-évêque Velbruck, aux Hamal, à l’organiste Lhoest, etc.[1]. Il était accompagné de Godefroid de Villetaneuse, auquel Grétry, écrit G. de Froidcourt, « dédia la partition gravée de Barbe Bleue, comédie en trois actes, livret de Sedaine de l’Académie française, représentée pour la première fois le 2 mars 1789 à la Comédie Italienne[2] ». C’est à celui-ci et à ses voisins qu’il aurait dit à la cathédrale, à l’écoute de la musique des Hamal, en « parlant de l’orchestre de Liège » : « Voilà, mon ami, ce qui manque à Paris[3]. » « Enfin », conclut Henri Hamal, Grétry « partit pour Spa ».
Sa présence augmenta le zèle des acteurs qui se surpassèrent par la manière qu’ils jouèrent successivement les diverses pièces de ce grand Maître. Ils commencèrent par Sylvain, opéra de sa composition qu’on applaudit à tout rompre. Le dimanche 1er septembre, ils donnèrent Les deux avares ; à la fin de la pièce, on chanta avec un applaudissement général des couplets à la louange de l’habile compositeur, en criant « Vivat Grétry ! ».
Le 29 août 1776, Mary « Hammy » Hamilton, âgée de vingt ans, quittait Aix-la-Chapelle pour gagner Verviers puis Spa, « at tea time ». La jeune fille était la nièce de Sir William Hamilton, ambassadeur de la Grande Bretagne à la cour Naples et vulcanologue dont M. Collart montrera bientôt les qualités scientifiques supérieures[4].
L’ouvrage de Br. Dolan intitulé Ladies of the Grand Tour consacre un médaillon à « Hammy » dans la galerie des voyageuses illustres et « bas-bleus » des Lumières[5]. On y apprenait qu’elle « voyagea dans les Flandres et en Belgique à l’âge de vingt ans », ce qui mit sur les traces du manuscrit inédit de son récit de voyage. Celui-ci fera l’objet d’une édition à laquelle participe C. Seth[6]. Mary Hamilton devint peu après sous-gouvernante des filles de la reine Charlotte, à la cour d’Angleterre, « où elle fut l’objet des poursuites du prince de Galles, qui s’en était épris ». Quittant la cour au début des années 1780, elle fréquenta le cercle d’Elizabeth Vesey, où elle pouvait rencontrer des personnalités comme Edmund Burke, le comédien Garrick, Edward Gibbon, le peintre Reynolds, etc.[7].
On n’entend pas ici restituer dans son cadre culturel spadois l’une des rencontres dont Mary Hamilton fait brièvement état pendant son séjour. On se réserve de donner le moment venu une telle mise en perspective, qui fait intervenir plusieurs des personnalités mentionnées avec elle parmi les « seigneurs et dames » inscrits sur la liste du 1er septembre. Elle écrit dans son journal à la date du mardi 3 septembre (ma traduction) :
J’ai rendu plusieurs visites ce matin. Monsieur Darmes a dîné avec nous. Lord et Lady Dartrey et moi sommes allés chez la Vicomtesse, etc., etc. , puis à la Comédie. Gretrey, dont la musique est très charmante, est venu une demi-heure dans les salles. Le soir, Lord Dartrey donna un très chic souper à notre hôtel, avec Mr. Bertin, sa sœur, sa belle-fille, Mr. D’armes, Monsieur d’Orcy, Lord Wesport (un jeune noble irlandais, de vingt ans) et la plus âgée des filles Boughton.
Le séjour de Grétry à Spa est évidemment attesté par les Listes des seigneurs et dames, qui nous sont maintenant familières. Il est inscrit le 29 août à l’hôtel des Armes d’Hollande, accompagné de Godefroid de Villetaneuse et d’un « Monsieur Defosséz, de Liége », nom de famille dans lequel on aura reconnu celui de la mère de Grétry, Marie-Jeanne Defossez[8].
Les financiers, avec « Mr. Bertin » et « Monsieur d’Orcy », dominaient, dans la société qui se réunit le soir après la rencontre avec Grétry. Ceux-ci ont droit à davantage d’attention que le compositeur. La banque passait avant la musique. Les choses n’ont guère changé.
Manuscrit du journal de Mary Hamilton mentionnant Grétry
(Manchester, John Rylands University Library, Hamilton Archives, HAM/2/1)
13 août 2012
NOTES
[1] H. HAMAL, Annales des progrès du théâtre, de l’art musical et de la composition dans l’ancienne principauté de Liège depuis l’année 1738, jusqu’en 1806. Bibliothèque de l’Université de Liège, mss. 1577 – cité dans la Correspondance générale de Grétry. Ed. G. de FROIDCOURT, Bruxelles : Brepols. 1962 n° 67, pp. 93-94.
[2] Op. cit., n° 64, p. 90, note 1.
[3] Selon H. HAMAL, loc. cit.
[4] « Une polémique spadoise : l’appel au public du Chevalier de Limbourg contre Lord Hamilton dans l’affaire des volcans éteints », communication pour le colloque international sur Spa, carrefour de l’Europe des Lumières. Les hôtes de la cité thermale au 18e siècle / Spa, crossroads of European Enlightenment. The visitors of the city in the 18th century (Spa, 25-26 septembre 2012).
[5] London : HarperCollins, 2001, p. 291.
[6] Pour une communication préliminaire sur ce ms., voir le colloque mentionné ci-dessus.
[7] http://www.katelynludwig.com.
[8] J. BRUYR, Grétry. Paris : Rider. 1931, p. 9.
VOIR AUSSI : :: Représenter Grétry (1)
:: Représenter Grétry (2). Les gravures d'après Isabey
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