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HOMMAGE
pol pierre gossiaux (1942-2016)
par DANIEL DROIXHE
Nous apprenons avec tristesse le décès, le 22 mars, de Pol Pierre Gossiaux, qui fut dès l’origine président de la Société wallonne d’étude du dix-huitième siècle. Nous adressons nos plus sincères condoléances à Antoinette Gossiaux et aux enfants.
Né à Nivelles en 1942, Pol Pierre Gossiaux a obtenu son doctorat à l’Université de Liège en 1968 avec une thèse sur La critique à l’Âge classique. Essai sur les fonctions et les définitions de la critique (2 tomes). Aspirant du F.N.R.S. (1965-1969), il a été l’assistant d’André Vandegans, professeur de littérature française, avant d’être nommé professeur à l’Université de Bujumbura (Burundi), où il exerça de 1969 à 1974. Chargé de cours à l’Université de Liège en 1987, il devint professeur en 1998 et occupa jusqu’à sa retraite, en 2007, les chaires d’Anthropologie culturelle, d’Anthropologie des systèmes symboliques et d’Ethno-sémiologie des Arts de l’Afrique centrale. Il a été, à de nombreuses reprises, professeur visiteur à l’Université de Kinshasa et à d’autres universités congolaises.
Ses premières publications avaient porté sur Apollinaire, auquel il a consacré plusieurs études, de 1966 à 1971, dans la Revue des Lettres modernes. Il publiera encore des études sur La Tzigane et Les mamelles de Tirésias, notamment dans la revue italienne Berenice.
Dans le mouvement de rédaction de sa thèse, il a fondé vers 1975 à l’Université de Liège le groupe Homo classicus et il a conçu un programme de recherches en anthropologie littéraire. Celles-ci ont d’abord donné lieu : a) au long article fondateur intitulé « Epistémê de l’histoire littéraire et anthropologie », paru dans la Revue des langues vivantes (43/3,1977) ; b) au volume collectif intitulé Le Livre écrit en dedans et en dehors. Hommage à André Vandegans (1979). Il s’est illustré dans l’histoire de l’anthropologie par plus de 125 publications. Il a notamment collaboré à l’Histoire de l’anthropologie dirigée par Br. Rupp-Eisenreich chez Klincksiek (1984). Mais les conceptions de P.P. Gossiaux sont surtout exposées dans son Anthologie de la culture classique (1580-1725). Cosmologie et anthropologie, publié en 1978 et rapidement devenu un classique (rééd. 1980, 1982, 1991). On mentionnera encore, pour leur maîtrise du domaine, les articles « Anthropologie », « Ethnologie », et « Nature » dans le Dictionnaire de Diderot de R. Mortier et R. Trousson (1999).
Dans la ligne de ses travaux sur l’anthropologie littéraire, P.P. Gossiaux manifesta un intérêt pour l’histoire littéraire régionale. Celui-ci le conduisit à codiriger en 1980 le volume Livres et Lumières au pays de Liège. Il contribuera également, par des dizaines de notices, à trois catalogues d’exposition qui ont fait date: Le Siècle des Lumières dans la Principauté de Liège (Musée de l’Évolution culturelle de la Wallonie, 1980) ; Les Lumières dans les Pays-Bas autrichiens et la Principauté de Liège (Bibl. royale, 1983) ; Diderot et son temps (Bibl. royale, 1985). Les deux dernières manifestations ont été dirigées par Hervé Hasquin et Roland Mortier, qui tenait P. P. Gossiaux en haute estime. On peut dire qu’il a totalement refondé la recherche en matière d’éditions clandestines, par une nouvelle approche de la bibliographie matérielle.
En 1983, il codirigea la section « Anthropologie et linguistique » du Congrès international des Lumières qui se tint à Bruxelles. Il se montra dès lors un très entreprenant organisateur de colloques et de sessions d’étude. En 1985, il organisa à l’Université de Liège le colloque « Histoire de la sorcellerie », qui bénéficia d’un important écho. Il participa activement, en 2004, à la fondation du Groupe d’étude du dix-huitième siècle de l’Université de Liège, ainsi qu’à celle, en 2011, de la Société wallonne d’étude du dix-huitième siècle, dont il assura avec sa bienveillance coutumière la présidence. Il ne manqua pas d’intervenir aux colloques organisés par les deux associations. Dans ce domaine de recherches, il n’oubliait pas l’anthropologie, comme en témoignent ses travaux sur « La neuvaine de saint Hubert » ou « Quels dragons pour nos saints Georges ? », parus dans les Cahiers internationaux du symbolisme de Claire Lejeune (1997, 2000).
Cependant, dès 1969, son intérêt pour les religions africaines et pour l’anthropologie structurale, ainsi que sa nomination comme professeur à Bujumbura, l’orientèrent vers ce qui allait devenir son champ privilégié de recherches : l’art des Babembe du Sud-Kivu, auquel il joignit le culte de Ryangombe-Kiranga et des « maîtres de Buli ». Initié aux mystères des grandes sociétés secrètes, notamment ‘Alùnga et le Bwamè, aujourd’hui disparues, il effectua un travail continu de terrain au cours des quatorze séjours qu’il effectua chez les Babembe. Ses entretiens enregistrés occupent près d’un millier de cassettes magnétiques. En 2013, le chapitre sur « L’art de l’ivoire chez les Babembe du Sud-Kivu » lui fut confié, dans le volume White Gold, Black Hands. Ivory Sculpture in Congo (éd. par M.L. Félix, Chine, Gemini Sun, p. 169-235). Il a également participé aux travaux du Nelson Atkins Museum of Art. Peu de temps avant sa disparition sortit de presse le premier volume de la grande étude qu’il avait entreprise sur l’Anthropologie de l’art des Babembe du Sud-Kivu, intitulé Babembe. L’art funéraire dontil prit en charge l’édition (Liège, Éd. Anthroposys, 2016, postface de Viviane Baeke, Musée Royal de l’Afrique Centrale de Tervueren, 281p.). Ce volume est consacré à « la mort et aux effigies funéraires traditionnelles », aux « mythes de l’origine de la mort », aux « rituels d’enterrement », à « la recherche des coupables », aux « autels des morts ». Il est magnifiquement illustré. Il est vivement souhaitable que paraisse, ainsi que l’auteur l’avait prévu, le tome deux de l’Anthropologie de l’art des Babembe, « dévolu aux Grands Esprits – le Bwamè, ‘Alinga, ‘Elanda, M’m’hui » ainsi qu’« aux masques et aux objets utilisés par les membres des sociétés consacrées à ces Esprits ».
P. P. Gossiaux n’était pas un savant de cabinet. On se souvient avec émotion de l’attention qu’il portait à la santé des étudiants qui participaient, dans les années 1960, à ses séminaires. Il se montra longtemps soucieux de l’avenir des peuples africains: voir par exemple les articles « Étrangers. De l’ordre du sang à celui de la raison » (Langues, Blancs, Pouvoirs, Inconscients, Réseaux 85-86-87, 1999). Du même esprit participe son article intitulé « Des Droits de l’homme au Droit des Pauvres : aspects de l’utopie de la Révolution française », paru dans Histoire transnationale des utopies littéraires et de l’utopisme, sous la direction de V. Fortunati et R. Trousson (Paris, Champion, 2008). Il considérait aussi comme essentielle la collaboration qui l’unira avec des plasticiens en tant que professeur à l’Académie de Beaux-Arts de Mons, où il exercera pendant plus de dix ans, un travail de réflexion sur le thème du « corps sabbatique ».
Il laisse le souvenir d’un grand et généreux professeur, qui marqua par son charisme des générations d’étudiants liégeois.
23/03/2016
Les personnes suivantes ont manifesté l'émotion suscitée par la disparition de Pol P. Gossiaux :
Lise Andries (Université Paris-Sorbonne), Gilles Bancarel (Société Guillaume-Thomas Raynal), Frederik Dhondt (Universiteit Gent/Vrije Universiteit Brussel), Elena Gretchenaia (Moscou, Institut de littérature mondiale de l’Académie des Sciences), Marianne Molander Beyer(Université de Göteborg, Suède), Catriona Seth (Université de Lorraine). | |
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