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Liège au catalogue de l’Enfer
de la BnF
Par DANIEL DROIXHE
À la Bibliothèque nationale de France s'est tenue, du 4 décembre 2007 au 2 mars 2008 (en fait : jusqu'au 30 mars), sur le site François-Mitterand, l'exposition L'Enfer de la Bibliothèque. Éros au secret. Celle-ci était accompagnée d'un volumineux catalogue dirigé par Marie-François Quignard et Raymond-Josué Seckel. L'amateur d'éditions liégeoises du dix-huitième siècle ne pouvait manquer ce rendez-vous prometteur : on se souvient de la réserve de livres, soigneusement fermée, que laissa à sa mort la veuve Huet, ou encore des deux Notes séparées proposant, à la Révolution , divers ouvrages très «libres» qui auraient figuré au catalogue de la maison Bassompierre, selon une inscription manuscrite.
Dès l'entrée de l'exposition, l'attention était attirée par une édition de l'Académie des dames, une des lectures dans lesquelles l'héroïne de Thérèse philosophe fit «en quatre jours» son éducation sexuelle. L'ouvrage, on le sait, constitue la traduction française de la célèbre Satyra sotadica genre versifié inventé par un poète crétois de arcanis amoris et Veneris de Nicolas Chorier, un avocat de Grenoble. L'original latin, publié vers 1680, était supposé restituer les entretiens consignés par Luisa Sigea, «une fille d'honneur de l'infante Maria, sur de Jean III, roi de Portugal» (catalogue, n° 40). Octavie, à la veille de se marier, demande à sa cousine Tullie de lui apprendre les secrets de la vie de couple : «l'échange entre les deux cousines s'ouvre sur un échange des corps qui, lui, n'est pas seulement rapporté mais se produit devant les yeux du lecteur» (M.-Fr. Quignard).
«Pascal Pia», nous apprend-on, «recense neuf éditions françaises et neuf éditions latines entre la première édition et la fin du dix-neuvième siècle». Celle présentée ici a l'adresse «À Venise, Chez Pierre Arretin» et porte, dans la Réserve des livres rares, la cote «Enfer 277». La notice 42 du catalogue ajoute l'information : «Grenoble?, 1680». Cette dernière ne correspond pas, me semble-t-il, à l'ouvrage, mais à ce qui est considéré comme la première édition de l'Académie des dames, laquelle porte effectivement l'adresse nue de «Venise» et pourrait dater de 1680. Une erreur de cotation doit être à l'origine de la confusion, car l'une et l'autre édition porte la cote «Enfer 277». Celle dont il est question ici se trouve du reste pourvue, dans le catalogue informatisé de la BnF , d'une notice séparée, bien séduisante pour le lecteur liégeois.
Cette édition in-8, qui a donc l'adresse précise «A Venise, Chez Pierre Arretin», se présente comme suit : «[2]-420 p., [1]-35 feuilles de planches». Ces gravures libertines laissent à elles seules pressentir que l'édition n'est pas du dix-septième mais du siècle suivant. La notice du catalogue la situe en effet «après 1770». Une note ajoute :
Fausse adresse; publié en Hollande, d'après Gay, à Liège, chez Bassompierre, d'après De Le Court; en fait, d'après le matériel typogr., vraisemblablement publié à Liège, mais pas chez Bassompierre, postérieurement à 1770.
Inutile d'insister sur les références bibliographiques : Jules Gay, Bibliographie des ouvrages relatifs à l'amour, aux femmes, au mariage, etc., 4e éd., Paris : Lemonnyer, 1894-1900 (BnF, NUMM- 22204-22206) ; Jules-Victor De le Court, Bibliographie nationale : dictionnaire des anonymes et pseudonymes, XVe siècle-1900, Bruxelles : Académie royale de Belgique, 1960.
J'ignore sur quoi se fonde le rédacteur de la notice pour avancer que l'édition serait liégeoise, mais non due à Bassompierre supposition qui implique une familiarité d'autant plus intime avec la typographie liégeoise que l'ouvrage s'avère très dépourvu d'ornementation ou de caractères identifiables. On en reproduit ici la page de titre, qui pourrait prendre toute la valeur d'un emblème ou d'une image de marque pour la production érotique ou pornographique issue des presses liégeoises (au fait : quelles sont vraiment la différence et la limite entre les deux genres?). Le catalogue de l'exposition de la BnF note encore que ses 35 gravures, curieusement, sont «sans lien avec l'édition», même si leur caractère général permet de les adapter à des situations très diverses.
Le catalogue offre une autre notice suscitant la curiosité de l'amateur local. Il présente une édition de la fameuse Histoire de Dom
, portier des chartreux de l'énigmatique Jean-Charles Gervaise de Latouche. Elle porte l'adresse «À Francfort, Chez J. J. Trotener, imprimeur-libraire aux Cigognes» et la date de 1748. Après avoir rappelé que l'ouvrage, publié en 1741, avait été poursuivi dès sa parution, M.-Fr. Quignard commente (n° 47) :
Cette nouvelle édition fit elle aussi l'objet de poursuites. François Xavier d'Arles, agent secret à Liège, fut emprisonné six mois à la Bastille du 2 février au 16 août 1749, pour en être l'éditeur comme il l'était de la première édition de Thérèse philosophe.
Comme le remarque le catalogue d'une vente de l'édition «Trotener», offerte chez Christie's à Paris en 2006, «on note que la date imprimée sur le fleuron de la page de titre contredit la date de publication de 1748». Ce «fleuron» porte en effet l'indication «Papillon 176(0)».
Une vente Ferri-Drouot du même ouvrage, tenue le 18 juin 2003, a rapporté la belle somme de 37 000 euros. Il est vrai qu'il se présentait dans une reliure de l'époque en maroquin bleu. On suppose qu'à ce prix, les initiations à géométrie variable de Suzon, Toinette, sur Monique, Saturnin et le Père Polycarpe comportaient les vingt planches qui les illustrent. Certaines sont difficilement reproductibles ici. N'omettons cependant pas le commentaire consacré par M.-Fr. Quignard à une autre gravure du Portier des chartreux dans l'édition «Trotener».
Le frontispice annonce l'histoire. Il joue un rôle incitatif. Castré après avoir contracté la vérole, Saturnin ne pouvait toutefois être représenté tel qu'il était devenu au moment de la rédaction de ses mémoires. Ce sexe dressé figure le pouvoir de l'écriture, capable de se substituer à la virilité perdue. Aussi «l'auteur rempli de son sujet» n'a plus qu'à enflammer et le corps et l'esprit du lecteur.
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Frontispice de l'Histoire de Dom
, portier des chartreux dans l'édition de «Francfort, Trotener» (?) portant la date de 1748 (176
).
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Pouvoir restaurateur de l'écriture, jeux d'une parole qui hésite entre le voile et l'énonciation la plus crue (ainsi que l'a bien analysé J.-Chr. Abramovici pour l'âge classique) : la critique moderne trouvera maintes occasions de faire varier les figures d'un langage infiniment tendu «vers la racine du corps, là où il se fait et se défait sans cesse dans la sexualité» (M. Foucault, cité à la notice 256 à propos de P. Guyotat).
Suggestions bibliographiques
Abramovici, Jean-Christophe. Obscénité et classicisme. Paris : PUF, 2003.
Goulemot, Jean Marie. Ces livres qu'on ne lit que d'une main : lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle. Paris : Minerve. 1994.
Negroni, Barbara de. Lectures interdites, le travail des censeurs au XVIIIe siècle. Paris : A. Michel. 1995.
Romans libertins du XVIIIe siècle. Textes établis, présentés et annotés par Raymond Trousson. Paris : R. Laffont. 1993 Paris : France loisirs. 1999.
Romans libertins du XVIIIe siècle. Éd. établie sous la dir. de Patrick Wald Lasowski. Paris : Gallimard. «Bibliothèque de la Pléiade». 2000-2005. 2 vol.
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