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de l’encyclopÉdie
à la méthodique. l’évolution
du lexique de la houillerie
(première partie)
Par DANIEL DROIXHE
À la mémoire d’Étienne Hélin
Ferdinand Brunot, traitant de l’évolution du vocabulaire industriel au XVIIIe siècle dans sa grande Histoire de la langue française, a donné un exemple du développement de celui-ci dans un chapitre particulier intitulé : « Un spécimen. La houille ou charbon de terre[1]. » Ce qui suit ne vise qu’à compléter par quelques détails un tableau mettant en évidence le rôle du lexique technologique wallon. On y prendra pour tables de références, en systématisant pour ainsi dire celles-ci, deux ouvrages sur les ressources desquels Brunot lui-même insistait au début du chapitre sur « La langue des métiers et des arts » :
Étudier la langue industrielle, dans son ensemble, ce serait considérer, dans chaque métier, le travail, la matière, les outils, les produits, et signaler les changements survenus dans les mots qui les concernent. Pareille étude, si longue et si minutieuse qu’elle puisse être, n’est pas impossible à mener à bien, grâce à l’immense répertoire que fournissent l’Encyclopédie et l’Encyclopédie Méthodique (Arts et Métiers, 1782 et suiv.)[2].
Rappelons d’abord pour mémoire que le terme houille apparaît sous les formes oille et ouille au XVIe siècle pour désigner le charbon de terre et que la forme moderne figure chez Cotgrave en 1611. Houille transpose le wallon liégeois moderne hoye, écrit hulhes au moyen âge, enregistré sous la forme latinisée hullae par Du Cange (1198). Le FEW (16, p. 258b-259) le rattache au francique *hukila « tas, monceau, motte[3] ».
L’exposition Le siècle des Lumières dans la principauté de Liège, qui s’était tenue d’octobre à décembre 1980 au bien nommé Musée de l’Art wallon et de l’Évolution culturelle de la Wallonie, à Liège, avait consacré plusieurs notices de son catalogue à la houillerie. Elles étaient dues aux regrettés Étienne Hélin et Georges Hansotte et se fondaient sur des travaux que l’on ne mentionne ici que pour mémoire, bien qu’une exploitation systématique de ceux-ci s’imposerait. La notice 54, due à É. Hélin, renvoyait à une « somme monumentale » : L’art d’exploiter les mines de charbon de terre du médecin Jean-François-Clément Morand, composé de « cinq in-folios parus à Paris entre 1768 et 1779 ». L’ouvrage « éclipse les traités consacrés à la houillerie par ses contemporains : l’Encyclopédie (1753), Léopold Genneté (1774), Gabriel Jars (1774-1781) et Gabriel-François Venel (1775)[4] ». G. Hansotte consacra les notices 55-58 à l’explication de diverses planches et des termes techniques qu’elles comportent : l’une, tirée du Recueil de Louvrex contenant les édits et règlements faits pour le Païs de Liège (1750), qui illustre « de manière schématique mais claire la méthode liégeoise d’exploitation du gisement houiller »; les autres, tirées de l’Encyclopédie, sur « la technique d’exploitation des mines » et la « coupe d’une ‘pompe à feu’ ou machine de Newcomen[5] ».
1. UN SEUIL DE DIFFUSION LEXICALE : JEAN-FRANÇOIS MORAND (1768 sv.)
On considère généralement, en suivant F. Brunot, que le terme houille et la famille lexicale de celui-ci se sont surtout diffusés à partir de l’ouvrage de Morand qui vient d’être cité. Il n’est pas possible de reproduire ici les éloges adressés par Brunot à un auteur qui, ayant acquis une connaissance directe de la houillerie liégeoise, a par ailleurs « très bien vu que les différences de terminologie d’un endroit à un autre correspondaient à des différences concrètes », d’où, peut-être, « le soin avec lequel il a recueilli les mots ». L’intérêt de la précision lexicale que réclamait Diderot en faveur de l’avancement technologique se trouve donc ici concrètement illustré par la mise en relation de désignations dont la variété traduit non seulement celle des savoirs régionaux, mais aussi leur inégal avancement. « L’étude comparative » qui s’ouvre ainsi a cependant ses limites, note l’historien de la langue française : « Morand connaissait beaucoup mieux les mines du pays liégeois que les autres, dont il a parlé la plupart du temps d’après des renseignements empruntés. »
Brunot souligne du reste que « les divergences commençaient à propos du nom même du produit qu’on extrayait ». « L’expression de charbon de terre était en effet très répandue, si bien que Morand lui-même l’adopte dans le titre de son livre. » Observons d’emblée qu’il en va de même des célèbres Voyages métallurgiques du Lyonnais Gabriel Jars, parus en 1774 et sous-intitulés Recherches et observations sur plusieurs mines de charbon de terre[6]. Non seulement l’expression charbon de pierre, ajoute Brunot, désignait souvent en France le charbon de terre, mais cette dernière expression, « dans diverses provinces, ainsi en Franche-Comté », « désignait la tourbe, qui était très exploitée ». On voit comment la différence géo-linguistique reflète un état de moindre développement industriel, dans la mesure où la tourbe offrait un combustible moins favorable à celui-ci.
On ne s’attardera pas ici sur la manière dont le terme houille s’inscrit dans des associations lexicales ou des segments contextuels pouvant présenter un caractère significatif. Relevons seulement l’apparition précoce du mot au titre de certains chapitres. La section II de la Première partie s’intitule déjà Comparaison de la Houille avec le Charbon de bois fossile et le terme, au pluriel, sans italiques, prend la préséance dès le début du texte : « L’examen de différentes Houilles, ou Charbons de terre, ne permet de douter que ce fossile ne soit une concrétion de matière bitumeuse, qui s’est séparée des entrailles de la terre[7]… » Plus caractéristique, sans doute, est l’apparition des dérivés houilliere/houillere et houilleur aux titres des articles I et II de la Cinquième section (Des Météores qui accompagnent le Charbon de terre): Eaux des Houilleres, où il est question des « sources qui coulent des Houillieres », qui sont « de différente nature », et Vapeurs et Feux qui s’exhalent de la Houille ; action de ces Météores sur les Houilleurs à l’ouvrage[8]. Inutile d’insister sur le cadre dans lequel s’inscrivent des descriptions et des mesures fondées sur un Examen des Eaux des Houilleres du Pays de Liege.
2. LA DIFFUSION LEXICALE CHEZ JARS (1774) ET DELIUS/ SCHREIBER (1778)
Dans ses considérations sur le mot houille, que le lexique liégeois distingue du charbon de terre, « moins dur et moins compact », F. Brunot se réfère à l’Art d’exploiter les mines de charbon de terre « d’après le Recueil intitulé Descriptions des Arts et Métiers faites et approuvées par Messieurs de l’Académie royale des Sciences, t. VI, 1776 et t. XVI, 1780. Neuchâtel, éd. Bertrand, in-4°[9] ». Il fournit dès lors pour l’ouvrage, dans le corps du texte, les dates de « 1776-1777 ». Celles-ci peuvent induire en erreur, puisque la Première partie de l’Art d’exploiter les mines à laquelle on vient d’emprunter les informations ci-dessus, dans les mêmes Descriptions publiées à Paris par « Saillant et Nyon, et Desaint », date de 1768. Ceci place dans une autre perspective chronologique les Voyages métallurgiques de Jars, parus en 1774. Ces derniers permettent d’apprécier la pénétration de terme houille et de sa famille lexicale chez un auteur beaucoup plus éloigné de la réalité régionale ayant servi de modèle à Morand.
Dans les Voyages métallurgiques, l’appellation charbon de terre paraît dominer exclusivement jusqu’au 14ème mémoire, qui s’ouvre par un chapitre sur les Mines de charbon du pays de Liège, avec cette première phrase : « On fait remonter l’origine des mines de charbon de terre dans le pays de Liège, à l’année 1198 ; les uns font dériver le nom de Houille, que l’on y donne à ce numéral, à un ancien mot saxon ; d’autres, au nom propre de celui qui en fit alors la découverte[10]. » L’équivalence des deux désignations ne cède le pas au seul emploi de houille que dans le 15e mémoire, qui traite de la Manière de préparer le charbon minéral, autrement appelé houille, pour le substituer au charbon de bois dans les travaux métallurgiques. Ainsi : « Le procédé, au moyen duquel le charbon de pierre devient coaks, est facile en apparence ; il ne s’agit que de faire brûler la houille, comme on brûle le bois pour faire du charbon… ». Ou encore : « Pour désouffrer la houille avec profit, il est reconnu que les morceaux doivent être réduits à la grosseur de trois à quatre pouces cubes, afin que le feu puisse agir et pénétrer dans leur intérieur[11]. »
Considérons un autre ouvrage contemporain, qui offre l’intérêt d’être dû à un traducteur, donc relativement étranger, en principe, au langage spécifique de la houillerie. Jean Godefroy Schreiber adapte en français, en 1778, l’Anleitung zu der Bergbaukunst de Christoph Traugott Delius, de 1773, sous le titre de Traité sur la science de l’exploitation des mines[12]. Le mot houille apparaît plusieurs fois, au tome I, dans la séquence couche de houille, c’est-à-dire dans le cadre d’une description des strates qui se succèdent (pierre à chaux, sable, limon) ou par rapport à d’autres types de couches (alun vitriol, fer) ou veines (or, argent, plomb)[13]. Il est curieux, au tome II, de voir recommandé l’usage « de la houille et de la tourbe » dans la construction des bâtiments en maçonnerie servant à l’exploitation minière[14].
On a vu que houillère et houilleur apparaissent chez Morand dès 1768. Il s’agissait de mots nouveaux, absents de l’article « Houille » de l’Encyclopédie et des art. « Charbon minéral (Hist. nat. Minéral.) » et « Charbon végétal et fossile (Hist. natur.) », par d’Holbach[15]. Par contre, houilleur et houillerie figurent bien dans les Voyages métallurgiques de Jars, au chapitre traitant de la Notice de la jurisprudence du pays de Liège, concernant les mines de charbon de terre, ou houille[16]. Ils se présentent à l’état de termes unissant un double caractère local et de création, marqué par l’italique. En voici un exemple :
La juridiction établie depuis les temps les plus reculés, pour connaître tout ce qui concerne les mines de charbon, ou les affaires en fait de houilleries, se nomme la Cour des Voirs Jurés du charbonnage. (…) Cette même Cour dans son institution, a été établie pour connaître en première instance toutes les causes agitées en matières de mines de houille, charbon et autres minerais, comme fer, plomb, etc., que chaque membre de cette juridiction doit être houilleur de profession…
3. HOUILLE ET SA FAMILLE LEXICALE DANS LES ARTS ET MÉTIERS DE LA MÉTHODIQUE (t. I-III, 1782-1784)
L’Encyclopédie méthodique, dont il est inutile de rappeler ici l’histoire[17], comporte au tome III de la collection des Arts et métiers mécaniques, paru en 1784, un article « Houille (Art de la)[18] ». La localisation du terme est devenue banale : la houille est le « charbon minéral, ainsi dénommé principalement par les habitants du pays de Liége, du comté de Namur, de la Flandre, du Hainault, etc. ». C’est cependant dans un autre article que s’effectue le provignement lexical à partir du terme souche : l’article « Charbon minéral (Art du) », paru au tome premier de la même collection en 1782, et uniquement dans la partie intitulée Vocabulaire de l’Art de faire le charbon minéral[19]. C’est là que Houille est suivi de Houillère « mine de houille » et de Houilleur « ouvrier qui travaille dans les mines de houille, ou l’entrepreneur d’une mine de houille ». A cet article correspondent deux planches rangées sous l’intitulé « Charbon de Terre, ou minéral », qui figurent en 1783 au tome premier du Recueil de planches de l'Encyclopédie, par ordre de matières, publié à Paris par Panckoucke et à Liège par Plomteux[20].
Ce Vocabulaire a été manifestement composé en s’inspirant davantage du lexique wallon sans doute véhiculé par Morand. On y trouve des adaptations spécifiques, au reste volontiers associées au terme houille : Airure de veine de houille « se dit d’une veine qui finit en s’amincissant » ; Chaignelaies « nom donné dans le pays de Liège aux veines d’un charbon de terre fort tendre, dont on se sert pour polir le fer » ; Daignée « nom donné dans le pays de Liège à une veine de quatre pieds d’épaisseur » ; Hochets « ce sont les formes dans lesquelles on moule la houille grasse » ; Paires « on nomme ainsi dans le pays de Liège et ailleurs, les endroits où se ramasse la houille jusqu’au moment de la vente », etc.
Paradoxalement, dans la Méthodique, ce n’est pas à l’art. « Houille », et pas davantage dans le Vocabulaire qui clôt celui-ci[21], au tome III de 1784, que l’on trouve houilleur, mais à l’article « Charbon minéral (Art du) », au tome I de 1782, dans le Vocabulaire de l’Art de faire le charbon minéral. Le mot est défini par : « ouvrier qui travaille dans les mines de houille, ou l’entrepreneur d’une mine de houille ». Il figure également dans le Vocabulaire sous l’entrée « Caprice de pierre » : « les houilleurs désignent par ce nom l’écart accidentel d’une veine de charbon de terre ». L’y accompagne le dérivé houillère, qui fait également défaut ailleurs. Cette distribution apparaît singulière, comme si les art. « Charbon minéral » et « Houille » de la Méth. étaient dus à deux auteurs dont le premier serait plus familiarisé avec l’ouvrage de Morand, chez qui houilleur est très largement employé, en particulier dans des titres d’articles[22].
4. LES GISEMENTS : PENDAGE, FAILLE
« Je ne puis entrer », écrit Brunot, « dans les détails minutieux où s’enfonce Morand pour expliquer, avec figures à l’appui, la position, la direction, les particularités des couches et leur pendage ». Comme d’autres termes techniques de houillerie, pendage, « qui vient du w. pèn’tèdje », figure exclusivement dans le Vocabulaire de l’Art de faire le Charbon minéral de la Méth. : il est absent de l’Enc., de l’art. « Houille » de la Méth. et de son Vocabulaire. Calqué sur le w. pèntèdje, il désigne l’ « inclinaison des veines de charbon ».
Brunot traite ensuite des « Accidents de la veine ». « Les veines sont régulières ou irrégulières, ces mots se disent partout, de même que faille (wall. faye) qui est à peine un mot technique ». Faille n’apparaît ni dans les art. « Charbon minéral (Hist. nat. Minéral.) » et « Charbon végétal et fossile (Hist. natur.) » par d’Holbach ni dans l’art. « Houille (Hist. nat.) », « nom que l’on donne en Flandre, en Hainault & dans le pays de Liége, au charbon de terre [23] ».
Le mot faille figure dans la Méthodique, au tome I des Arts et Métiers (p. 529) à l’art. « Charbon minéral (Art du) », dans le Vocabulaire de l’art de faire le charbon minéral, avec la définition « roches ou montagnes souterraines qui occasionnent une interruption dans les veines ou filons d’un minéral ». Il n’apparaît pas dans le paragraphe détaillé consacré à ces « obstacles », « ordinairement des roches formées après coup, qui viennent couper à angles droits ou obliquement, ou en tout sens, non seulement les couches de charbon de terre, mais encore tous les lits de terre et de pierre qui sont au-dessus ou en-dessous[24] ».
On peut voir dans la planche I, fig.8 et 10, les différentes directions que ces roches font prendre aux couches ou filons : c’est donc un des plus grands obstacles qui s’opposent à l’exploitation des mines de charbon. Ces roches ne suivent aucun cours déterminé, et sont souvent si dures, qu’elles résistent aux outils des ouvriers qui sont obligés de renoncer à vouloir les percer. Le plus court est de chercher de l’autre côté de la roche ce que le filon et la couche de charbon peuvent être devenus : souvent on ne les retrouve qu’à cinq cents pas au-delà. Cette recherche demande beaucoup d’habitude et d’expérience. Quelquefois la roche, sans couper la coucher de charbon, lui fait prendre la forme d’un chevron. Voyez la fig. 10[25].
Le mot a été sans nul doute popularisé par l’Art d’exploiter les mines de charbon de terre de Morand, qui comporte, à la section VII du tome I, un article V intitulé Des failles, dans un chapitre offrant une Description du sol du pays de Liège[26].
On notera que l’article « Failles (Commerce) » de l’Encyclopédie, par Diderot, ouvre sur une des étymologies proposées concernant le terme : « taffetas à faille. C'est une étoffe de soie à gros grain, qui se fabriquait en Flandre, où elle prit son nom de l'ajustement que les femmes en faisaient: c'est une écharpe qu'elles appelaient failles[27] ». L’idée de rupture apportée à la continuité du tissage par le « gros grain » aurait été appliquée par métaphore à la chaîne de la veine interrompue par la roche. Mais une étymologie remontant à faillir « faire défaut » est défendue avec plus de vraisemblance par Louis Remacle.
(à suivre)
ANNEXE. SUR LES TRACES DE LA HOUILLE : LES ARTICLES BRIQUETIER, CHAUFOURNIER ET ALUN DE LA MÉTHODIQUE
Il est remarquable que plusieurs autres articles de la Méthodique concernant les Arts et métiers intègrent le terme houille, notamment en emploi isolé, dès le premier tome de la collection, paru en 1782.
Le mot apparaît par exemple dans l’article Briquetier-Tuilier-Carrelier (Art du) :
Voilà sur ce que nous avions à dire sur la manière de cuire la brique avec le bois. Il nous reste encore à parler, pour terminer cet article, de la manière de cuire la brique avec le charbon de terre et avec la tourbe. Mais comme cette opération de cuire avec la houille, comme l’on fait en Flandre, demande un assez grand détail, que Monsieur Fourcroy nous rapporte avec beaucoup de clarté, nous avons cru devoir donner ici cette partie de son mémoire, telle que lui-même l’a donnée, crainte d’en rendre quelques endroits peu intelligibles en cherchant à l’abréger[28].
La citation oriente non seulement l’enquête vers une région, la « Flandre », mais vers une des Descriptions des arts et métiers publiées par MM de l’Académie royale des Sciences : L’art du tuilier et du briquetier de Henri-Louis Duhamel Du Monceau, Charles-René Fourcroy de Ramecourt et Galon (1763)[29], et plus précisément la Seconde partie de l’ouvrage, l’Art de fabriquer la brique, et de la faire cuire au charbon de terre, due à Fourcroy. Celui-ci était apparenté au célèbre chimiste Antoine-François de Fourcroy (1755- ). Cuvier s’en souvient comme d’un « maréchal de camp et cordon rouge » qui « siégea pendant plusieurs années à l’Académie des Sciences »[30]. Charles-René Fourcroy écrit :
Les observations dont je vais rendre compte, ont eu pour objet la connaissance de la terre avec laquelle on fait la brique rouge en Artois et en Flandres, le long de la Lys, de l’Escaut et de la rivière d’Aa ; les préparations que l’on donne à cette terre, et la façon de faire cuire la brique, avec la houille ou charbon de terre, lorsque la terre a reçu toutes les façons qui lui sont nécessaires[31].
L’article dont il est ici question se termine par un très riche Vocabulaire des arts du briquetier-tuilier-carrelier[32]. Il ne peut être question de le détailler ici par comparaison avec le lexique du briquetier tel qu’il figure dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, notamment enregistré à l’article Brique, par Diderot et Vandenesse. Signalons comme présents dans la Méthodique et apparemment absents de l’Encyclopédie : Accoulins « attérissements de rivière employés à faire la brique » ; Chantignolles « sortes de briques qui servent pour les tuyaux de cheminée » ; Eperon « bordure formée par des briques inclinées », etc.
Le terme houille apparait également dans l’article Chaufournier (Art du) de la Méthodique, paru au même tome I de la collection des Arts et métiers en 1782.
On fait de la chaux avec toutes sortes de bois, mais plus facilement avec les bois qui font une belle flamme : les bois blancs sont très-propres à cela. On emploie aussi la tourbe, le charbon de terre ou la houille[33]…
La suite du texte nous apprend qu’il s’inspire également de Fourcroy de Ramecourt. Celui-ci, « dans l’art du chaufournier, qu’il a décrit et publié en 1766, est entré dans tous les détails nécessaires sur la construction et la conduite des fours de divers pays ». Il connaît « les fours ellipsoïdes de Lorraine », « les fours à chaux cubiques d’Alsace », ceux « à petit feu », « en pyramide ou en cône renversé », « que l’on emploie aussi en Flandre et en diverses provinces de France », ainsi que les « fours en demi-ellipsoïde renversé, que l’on fait à Tournai et ailleurs ». On se rapproche du berceau du vocabulaire franco-liégeois de la houillerie quand il est plus particulièrement question des « fours à cône renversé », qui « sont semblables sur la basse-Meuse, l’Escaut, la Scarpe, la Lys, dans la Flandre maritime et le Boulonnais ».
Le terme houille supplantera rapidement l’expression charbon de bois dans l’article Chaufournier de la Méthodique : on charge le four en y arrangeant « trois ou quatre brassées de bois bien sec », recouvertes « d’un lit de trois ou quatre pouces de houille en morceaux gros comme le poing » ; mais « si la houille destinée pour ce four est en poussière, et que la pierre à calciner soit dure, toute la pierre doit avoir été réduite en morceaux de la grosseur du poing tout au plus[34] ». Le terme sera employé de très nombreuses fois dans les paragraphes et les pages qui suivent. Il intervient notamment quand il est question des « houillères du pays de Liège et du Hainaut » où « on distingue deux qualités de houille ; dont la moindre se nomme houille à chaux et à briques[35] ». L’expression charbon de terre est totalement oubliée.
L’Encyclopédie traitait des fours-à-chaux à l’article Chaux (tome III, 1753)[36]. On n’y trouve pas — parmi d’autres — les termes suivants, enregistrés dans le Vocabulaire de l’art du chaufournier de la Méthodique : Biscuit « parties dures et pierreuses qui se rencontrent quelquefois dans la chaux éteinte[37] » ; Charbonnée « le lit de charbon renfermé entre deux lits de pierre à chaux, dans les fours où le feu se fait avec du charbon » ; Dressées « couches de pierre dans les fours cylindriques, où l’on brûle du charbon de bois[38] » ; Escoupe « pelle de fer propre aux fours à chaux[39] ».
À côté des occurrences de houille dans le lexique du briquetier ou du chaufournier, selon la Méthodique, l’article du tome I des Arts et métiers comportant de la manière la plus significative des occurrences du terme en question — même si elles sont moins nombreuses — est intitulé Fabrique et exploitation d’alun. L’explication en est simple. Il annonce :
Nous allons donner un exemple de l’exploitation des mines d’alun, en décrivant dans un certain détail la manière de faire de l’alun, qu’on suit à Dauge [lire : d’Engis], à trois lieues de Liége et deux lieues d’Hui ; nous donnerons en même temps des figures qui ont été dessinées et gravées sur les plans exécutés en relief par les ordres de M. le comte d’Hérouville, lieutenant-général. Ces plans ont été pris sur les lieux[40]…
Le terme houille n’apparaît que deux fois[41]. Mais le Vocabulaire qui clôt l’article comporte au moins deux termes intéressants. Le Bure est « l’excavation en forme de puits, qui est faite de la surface de la terre dans l’intérieur de la mine ». On reconnaît là le wallon liégeois beûr désignant le puits de mine, adapté sous la forme française bure qui figure encore dans des dictionnaires modernes. Quant à l’Engin, c’est la « machine établie pour mouvoir les pompes » : on connaît bien, à Liège, l’indjin transportant vers la Meuse, au XVIIIe siècle, les eaux des charbonnages de Hermalle, sur la rive droite. Cette machine d’exhaure était réputée émettre un bruit assourdissant, sorte de cliquetis permanant produit par l’appareillage métallique.
Les deux termes figurent déjà dans l’Encyclopédie à l’article Alun du tome I, de 1751, auquel l’article correspondant de la Méthodique reprend son texte avec quelques modifications[42]. L’Encyclopédie avait déjà décrit l’engin :
Le première pompe a dix toises, la seconde, dix, et celle du fond dix. Les trois verges de fer qui tiennent le piston ont cinquante pieds, et le reste est d’aspiration. La largeur de la bure a huit pieds en carré. L’engin et les pompes font le même effet que la machine de Marly, quoiqu’ils soient beaucoup plus simples[43].
Étienne Hélin a consacré une notice, dans le catalogue de l’exposition Le siècle des Lumières dans la principauté de Liège, à la Fabrication de l’alun (n° 83). Il y explique que « les schistes alunifères entre Flémalle et Amay », dans la région liégeoise, et particulièrement à Engis, « ne s’exploitaient pas à ciel ouvert mais par des galeries irrégulières qu’il fallait exhaurer ». « En outre, les quatre opérations indispensables — calcination, macération, lessivage, cristallisation — exigeaient des manipulations lentes et compliquées ». « Moins estimé que celui de Rome », l’alun liégeois était meilleur marché, d’où, peut-être, le fait « qu’il était bien connu des Français ». « Toujours est-il que les graveurs des Planches qui accompagnent l’Encyclopédie ont choisi une exploitation Dange pour illustrer un processus de fabrication complexe certes, mais, somme toute, traditionnel et qui ne doit encore rien aux progrès accomplis par les chimistes héritiers des Lumières ». É. Hélin reproduit la gravure en question, d’après le tome VI du Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques (Métallurgie, 1768)[44].
NOTES
[1] Paris, A. Colin, 1966, t. VI. Le XVIIIe siècle, Première partie. Le mouvement des idées et les vocabulaires techniques, Livre III. L’industrie, Livre premier. Généralités, Chap. V, p. 395 sv.
[2] P. 392.
[3] Centre National de Recherches Textuelles et Lexicales, CNRS/ATILF, notice « Houille ».
[4] La notice se réfère à un article du même E. Hélin sur « Les plans anciens de Liège », paru dans l’Annuaire d’hist. liégeoise 6, 1962, p. 600-601, ainsi qu’à : H. Dewe, « Jean Morand, ami des maîtres de fosses liégeois », Revue universelle des mines 9é série, III, 1947, p. 3-10.
[5] En référence : N. Caulier-Mathy, La modernisation des charbonnages liégeois pendant la première moitié du XIXe siècle, Paris, Société d'édition « Les Belles lettres», 1971, p. 69-83 ; G. Hansotte, « L’introduction de la machine à vapeur au Pays de Liège (1720) », La Vie wallonne 24, 1950, p. 47-55 ; P. Delrée, « Histoire de nos charbonnages. À propos de l’introduction des machines à vapeur dans la région liégeoise », Chronique archéol. du Pays de Liège 53, 1962, p. 109-16
[6] Lyon : Regnault, 1774.
[7] P. 5.
[8] P. 28 sv. et 32 sv.
[9] P. 395, note 2.
[10] P. 283.
[11] P. 328-29. Et encore p. 332.
[12] Paris, P.-D. Pierres, 1778, 2 vol. Une première trad. française par Schreiber aurait paru en 1768.
[13] T. I, p. 85-86, 89, 96, 412.
[14] T. II, p. 300.
[15] T. III, p. 190 et 194.
[16] P. 371-74, etc. Pour houillerie, voir aussi p. 382 et 386.
[17] Voir L’Encyclopédie méthodique (1882-1832). Des Lumières au positivisme, textes publiés par Cl. Blanckaert et M. Porret, Genève, Droz, 2006.
[18] P. 465 sv.
[19] T. I, p. 529.
[20] T. I, p. 99.
[21] T. III, p. 471.
[22] T. I, p. 32, 39, 95, etc.
[23] T. VIII, p. 323.
[24] EM / AM : p. 524b.
[25] Recueil de planche de l’Encyclopédie, par ordre de matières, Paris, Panckoucke ; Liège, Plomteux, 1783, t. I , p. 99.
[26] Première partie. Du charbon de terre et de ses mines, 1768, p. 59 sv.
[27] T. VI, p. 372.
[28] T. I, p. 315a.
[29] S. l., 1763, 67 p., pl. gravées.
[30] Recueil des éloges historiques lus dans les séances publiques de l’Institut, Strasbourg, Levrault, 1819-27, I, p. 302.
[31] P. 20. Egalement p. 55 : « il faut à peu près sept coupes de charbon de terre ou de houille par millier de briques ».
[32] P. 334-36.
[33] P. 452a.
[34] P. 453b. Le mot est encore employé plusieurs fois dans le paragraphe et dans les suivants.
[35] P. 457b.
[36] P. 262.
[37] L’acception ne correspond pas à celle que prend le « terme commun aux Fayenciers, aux Potiers de terre et ouvriers en Porcelaine », c’est-à-dire « la pâte qu’ils emploient à faire leurs vaisseaux, et sur laquelle ils appliquent ensuite la couverte », selon Diderot (Art. Biscuit, t. II, p. 261).
[38] L’acception ne correspond pas à celui que donne l’Encyclopédie à l’article Dressée, pour le vocabulaire de l’Epinglier (t. V, p. 110).
[39] Le terme n’est enregistré dans l’Encyclopédie que comme terme de marine pour désigner « une sorte de petite pelle creuse, avec laquelle on puise et on jette l’eau qui entre dans une chaloupe ou dans une canot » ; « elle a le manche très-court, et il n’y en a que ce que la main peut empoigner » (art. Escope, Ecope, Escoupe, t. V, p. 949).
[40] T. I, p. 13a.
[41] P. 14b : « les portes des fourneaux, par lesquelles on jette la houille, sont désignées par M, M » ; 15a : « il faut, toutes les vingt-quatre heures, deux tombereaux de houille pour les quatre fourneaux ».
[42] Ainsi, l’Encyclopédie, décrivant « les montagnes des environs de la mine de Dange », évoque « la pierre des rochers », « d’un gris bleu céleste », au « grain dur et fin », dont on « fait de la chaux ». « C’est derrière ces rochers que l’on trouve les burespour le soufre, l’alun, le vitriol, le plomb et le cuivre » (t. I, p. 310). La Méthodique écrira : « C’est derrière ces rochers que l’on trouve les veines de soufre, d’alun », etc. (p. 13a).
[43] P. 13b.
[44] On sait comment l’Encyclopédie a récupéré, ainsi que le raconte Réaumur à Formey en 1756, des épreuves des planches réalisées en vue du programme d’une Description des Arts et Métiers commandée à l’Académie au début du siècle. Ces épreuves, avec la documentation rassemblée, furent délaissées en 1725 : « on les a fait graver », poursuit Réaumur, « pour les faire entrer dans le Dictionnaire encyclopédique ». Le recyclage allégué donna plus tard lieu à un procès. Mais on a fait valoir que les cuivres des planches auraient été dûment rachetés par les Encyclopédistes et que la reprise de la Description des Arts et Métiers par l’admirable Duhamel Du Monceau, en 1757, promettait au moins un aboutissement au « travail de tant d’années » qui aurait été dérobé à Réaumur.
[mis en ligne le 05.06.2013] | |
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