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L’ONU, la pomme de terre
et l’Esprit des Journaux
Par MURIEL COLLART
Parce qu'«elle se cultive à peu près partout, a l'avantage d'être nutritive et [
] constitue ainsi un atout majeur contre la pauvreté[1]», l'ONU a fait de la pomme de terre un de ses thèmes pour 2008 qu'elle a déclarée Année internationale de la pomme de terre (IYP)[2].
Productive, nourrissante, salutaire : telles sont déjà les trois propriétés que ne cesseront de répéter ses défenseurs dans le dernier quart du dix-huitième siècle lorsqu'il s'agira d'en étendre la culture en Europe. Si la pomme de terre est déjà implantée dans nos régions depuis la fin du seizième siècle, c'est de façon très contrastée[3]. L'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas Autrichiens, le nord et l'est de
la France
l'ont progressivement adoptée, mais elle continue à rencontrer des résistances, en particulier dans de nombreuses provinces françaises où elle est successivement accusée d'apporter la lèpre, de provoquer des fièvres et de rendre les sols stériles.
De la croisade en faveur de la pomme de terre, dont il est un ardent défenseur, l'Esprit des Journaux ne nous épargnera rien : ni le faux direct du cultivateur d'Achères prenant conscience, sous l'il amusé de son bon maître, de la rentabilité du précieux tubercule, ni la mystérieuse missive (dithyrambique, cela va de soi) d'un citoyen patriote breton retrouvée presque par hasard par Antoine Augustin Parmentier aujourd'hui on dirait «en classant ses papiers» et communiquée au Journal de Paris. Par contre, l'EdJ ne soufflera mot des fleurs de pommes de terre affichées à la boutonnière de Louis XVI et à la perruque de Marie-Antoinette, pas plus que de la mise à sac par le peuple de Paris du champ de patates officiel de la plaine des Sablons (deux épisodes, racontent la légende et les manuels scolaires, d'une vaste opération de relations publiques orchestrée par Parmentier et aboutissant à l'adoption unanime de la racine). S'il n'est pas question de mettre en doute ici l'influence de ces deux événements, c'est en termes d'arpents et de boisseaux que l'EdJ s'exprimera quand il se fera l'écho des expériences menées par
la Société
royale d'agriculture sur le terrain mis à sa disposition par le contrôleur général Necker. Seul bémol au monde idéal de la culture des pommes de terre : la reproduction, dans le périodique, de
la Réfutation
du pain de pommes de terre, écrit anonyme qui récuse point par point la découverte de Parmentier.
La pomme de terre fait son entrée dans l'Esprit des Journaux en janvier 1775 dans la reproduction d'un Mémoire sur les causes de la mendicité, et les moyens d'y remédier[4]. Rédigé par un «chanoine député à l'Assemblée générale des États d'Artois», ce texte constitue probablement une réponse à l'enquête (circulaire du 16 novembre 1774) menée par Turgot[5] auprès des intendants[6] du royaume pour mesurer l'étendue de la paupérisation en France[7]. «Les hommes sont essentiellement inégaux» postule l'auteur anonyme du Mémoire. La raison? Les passions. Tant «qu'elles s'armeront contre nous, il sera impossible d'établir et de maintenir dans la société civile, cet équilibre de richesse et de puissance, qui rend un citoyen égal à un autre». Notre auteur voit plusieurs causes à
la mendicité. Il
distingue d'abord les causes morales, c'est-à-dire principalement le luxe («la table, les habillements, les ameublements et tout le train domestique»), l'ivrognerie et l'impudicité. Ces vices sont trois «sangsues qui dévorent les maisons les plus opulentes» et «font d'un riche un indigent». Celui-ci ne mérite pas la compassion. «On ne plaint guère un homme appauvri par ses vices; et le ciel permet souvent qu'il soit rassasié des maux et d'humiliations.» Ses réflexions, l'auteur veut les réserver aux «pauvres honteux [
] lorsqu'ils sont misérables sans avoir été coupables», aux victimes des «causes physiques, telles que des malheurs inévitables, des infirmités et le poids des années».
Mais comment «créer des secours» alors que «la cherté des denrées, la multiplicité des impôts, toutes les charges de l'État, ont resserré les charités publiques et augmenté le nombre des mendiants»? Le chanoine propose de loger gratuitement les pauvres dans des hôpitaux et de mettre à leur disposition, contre loyer, une «étendue de terrain, enclavé dans chaque hôpital ou qui l'avoisinerait», où ils «cultiveraient[8] le chanvre, le lin, les grosses fèves, les pommes de terre et autres légumes, autant pour vendre que pour leur usage journalier».
C'est associée à Voltaire que la pomme de terre revient à l'ordre du jour un mois plus tard. En février 1775, l'EdJ publie une Épître à M. de Voltaire, sur un pain qu'il avait composé avec des pommes de terre[9], poésie fugitive signée Barthélemy Imbert. De ce pain, nous trouvons la trace dans une lettre que Voltaire écrivit à Parmentier, de Ferney, le 1er avril 1775 : «J'ai reçu, Monsieur, les deux excellents mémoires que vous avez bien voulu m'envoyer, l'un sur les pommes de terre, désiré du gouvernement, l'autre sur les végétaux nourrissants, couronné par l'académie de Besançon. Si j'ai tardé un peu à vous remercier, c'est que je ne mangerai plus de pommes de terre dont j'ai fait du pain très savoureux, mêlé avec moitié de farine de froment, et dont j'ai fait manger à mes agriculteurs dans un temps de disette, avec le plus grand succès. Mais quatre-vingts et un ans surchargés de maladies, ne me permettent pas d'être bien exact à répondre; je n'en suis pas moins sensible à votre mérite, à l'utilité de vos recherches et au plaisir que vous m'avez fait[10].»
Le Mémoire sur les végétaux nourrissants est un des deux textes auxquels l'octogénaire surchargé de maladies fait allusion. C'est avec cet essai que Parmentier a remporté, le 24 août 1772, le prix du concours organisé par l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon sur le thème «Indiquer les végétaux qui pourraient suppléer en temps de disette à ceux que l'on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle devrait en être la préparation». Rédigées à la gloire de la pomme de terre, ces pages furent publiées au cours des mois qui suivirent dans le Journal d'agriculture. L'autre mémoire, Examen chimique de la pomme de terre[11], écrit la même année, renforça le rapport concluant à la salubrité de la pomme de terre, rendu par
la Faculté
de médecine de Paris à l'abbé Terray, alors Contrôleur général des finances[12].
Le tubercule fait son retour dans l'EdJ en novembre 1777 avec une recette de fromage aux pommes de terre[13]. Peu intéressant en soi quoique très spectaculaire, le procédé offre l'intérêt d'être précédé d'une brève introduction qui nous informe sur les régions françaises qui cultivent la racine : «De l'Irlande, cette plante a passé bientôt en Angleterre, de là successivement, en Flandre, en Picardie, en Franche-Comté, en Alsace, en Bourgogne, en Languedoc et en d'autres endroits de
la France.
» Un exemple à suivre est constitué par
la Suisse
, «où depuis vingt-cinq à trente ans, la culture s'en est tellement accrue, que cette manne fait en hiver la nourriture du peuple, surtout des enfants, qui, comme l'on sait, ne deviennent pas des hommes moins robustes que nos français nourris avec le plus beau froment».
Introduction, recension, réfutation : le débat sur le pain de pommes de terre va occuper l'EdJ. Tout commence par un article intitulé sobrement «Pain de pommes de terre», inséré dans le numéro de février 1779[14]. Cet article, modèle de concision et de précision, paraît respecter à la lettre la règle des six W (Who, What, When, Where, Why and hoW) qui fera les beaux jours des écoles de journalisme deux siècles plus tard. Le rédacteur nous apprend que Parmentier et son complice Cadet le Jeune ont présenté une découverte au Roi, à Monsieur et à Mgr. le comte d'Artois; qu'il s'agit d'un pain de pommes de terre qu'ils avaient fabriqué à l'hôtel royal des Invalides en présence du baron d'Espagnac, du commissaire de police Lenoir et de Benjamin Franklin[15]; que cette présentation s'est faite à Versailles; que ce pain de pommes de terre ne doit pas être confondu avec le pain de pommes de terre mélangé, c'est-à-dire celui où des céréales se trouvent mêlées au tubercule. La formule proposée est à même de remplacer le pain des pauvres en période de disette, car sa matière première ne craint ni les insectes, ni les gelées, ni la grêle, et «croît presque partout». En outre, ce pain de pommes de terre peut être confectionné par le cultivateur lui-même, «sans secours étranger»[16].
L'auteur de l'article avait promis à ses lecteurs d'indiquer le procédé de la fabrication «dans un des journaux suivants». C'est chose faite en juin 1779[17] avec la recension de Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de farine[18] de Parmentier. L'EdJ est conquis : «Parmi les auteurs actuellement existants, il en est peu qui consacrent leurs travaux à des objets d'une utilité réelle, avec autant de zèle et de succès que M. Parmentier. Chaque année est marquée par quelques-unes de ses expériences et de ses découvertes, plus précieuses sans doute que beaucoup d'autres sur lesquelles cependant les têtes de certains enthousiastes se sont si fort échauffées.» Les «travaux à des objets d'une utilité réelle» font sans doute allusion à l'Avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes, sur la meilleure manière de faire leur pain, que l'EdJ a recensé en novembre 1777, et aux
Observations sur les fosses d'aisance, et moyens de prévenir les inconvénients de leur vidange, que Parmentier a rédigés avec Laborie et Cadet-de-Vaux et dont l'EdJ a rendu compte en mars 1779. Est-ce l'échauffement des «têtes de certains enthousiastes» qui a justifié la curieuse structure de ce petit ouvrage de 55 pages sur le pain de pommes de terre : 25 pages de justification[19], 23 pages d'explication et 7 pages de récapitulation? De la première partie, l'EdJ fait ce commentaire : «[
] avant que d'exposer la méthode, il n'a pu s'empêcher de faire quelques observations sur les critiques et les difficultés qu'il a essuyées de la part de certains esprits qui sont toujours prêts à contredire toutes les nouveautés utiles. Au reste, les plaintes de M. Parmentier nous ont paru aussi honnêtement exprimées qu'elles sont bien fondées.» Si l'honnêteté se mesure au nombre de pages, Parmentier est un honnête homme.
Les choses se compliquent quand le journaliste décide d'expliquer, à grands renforts d'extraits,
la recette. Schématiquement
, le procédé consiste nous faisons plus que résumer à extraire l'amidon de la plante, à le mélanger avec la même quantité de pulpe puis à appliquer au mélange les méthodes de fermentation et de cuisson habituelles de
la boulangerie. Le
rédacteur de l'EdJ va rapidement buter sur une série de détails, en particulier sur «l'opération de la râpe[20]», préliminaire obligatoire à l'extraction de l'amidon et qui ne doit ni couper ni broyer les pommes de terre, mais en «déchirer les réseaux fibreux». Comprenne qui pourra
Le journaliste estimera plus prudent d'aiguiller ses lecteurs vers l'original : «[
] la fabrication du pain de pommes de terre exige des manipulations assez délicates, et à moins d'être fort intelligent, on ne réussirait peut-être pas si on voulait essayer d'en faire, d'après l'exposé qu'on vient de lire. L'écrit de M. Parmentier contient, sur quelques points difficiles, des remarques, des développements, enfin des instructions particulières que nous avons été obligés d'omettre pour abréger, et d'où pourrait bien dépendre le succès de l'opération.» Il conseille à ses lecteurs d'acheter l'ouvrage dont le prix, argument déterminant, «n'est que de 18 sols». La fin de l'article prend la forme d'une énumération des avantages de la pomme de terre : «Cette ressource est même d'autant plus avantageuse [
] que les pommes de terre viennent dans toutes sortes de terrains; que leur végétation a infiniment moins à redouter des influences de l'atmosphère que celle des grains; que les frais de culture et de récolte sont peu dispendieux; enfin que le pain qu'on fait avec ces racines est d'un prix médiocre, puisque quatre sacs, du poids de deux cent dix-huit livres, qui peuvent coûter 30 à 40 sous, dans les cantons où cette culture est en faveur, fournissent la même quantité de pain qu'en rend un setier du meilleur froment. Il est aussi nourrissant, presqu'aussi blanc[21], et s'il a un petit goût herbacé et sauvage, qui appartient à la pomme de terre, il n'est pas à comparer au désagrément du sarrasin, de l'avoine, de l'orge, etc. sous la forme de pain.»
Pour preuve de ces qualités, l'EdJ publie dans le même numéro une lettre d'un agriculteur breton[22] adressée à Parmentier et envoyée par celui-ci au Journal de Paris avec ce commentaire : «J'ai l'honneur de vous envoyer une lettre qui malheureusement m'est parvenue très tard; je crois que sa publicité devient essentielle dans le moment actuel, où on s'occupe plus particulièrement de la culture de la pomme de terre. On y voit un exemple bien fait pour l'encourager, celui d'un demi-arpent qui a donné environ dix-huit milliers pesans de cette racine, c'est-à-dire, une quantité capable de faire cinq milliers de pain. Il est facile de juger de quelle utilité serait dans un village un arpent de communes cultivé en pommes de terre. On pourrait par ce moyen suffire à la nourriture de vingt-cinq ou trente des plus pauvres habitants de la paroisse, sans compter la feuillée qui peut servir à la nourriture du bétail.» L'exemple encourageant ne vient pas seul. Il s'accompagne d'un arsenal d'arguments, tous en faveur des idées de Parmentier. Sa découverte «pourra devenir une des plus utiles pour tous; mais surtout pour nous autres pauvres habitants des campagnes». La productivité de «l'utile racine» est remarquable : «Je cultive les patates assez en grand, vu mon peu de terrain; j'en ai cueilli l'an dernier, sur un arpent et demi, 187 sacs pesant chacun de 100 à 104 le sac». S'ajoute à cet avantage un abandon de la jachère : «Avec ces deux réchauffages, quand la terre est nette de mauvaises herbes, les patates font une bonne récolte, et ces deux ou trois labours de réchauffage, joints aux labours de déchauffage pour les cueillir, servent de jachère pour semer la terre soit en froment ou seigle, sans y mettre d'engrais» La lettre se termine en apothéose : «Excusez, Monsieur, ces détails peut-être inutiles; mais ma folie est la culture, et quand j'en parle, comme quand je préside à mes petits travaux, je trouve toujours très court le temps qui est un fardeau pour tant d'autres.» Plus, ce serait trop
On imagine que, dans ce concert de célébration, la publication de
la Réfutation
du pain de pommes de terre, sans mélange de farine : adressée aux rédacteurs de l'Esprit des Journaux[23], en juillet 1780, ait fait l'effet d'un coup de canon. La biographe de Parmentier, Anne Muratori-Philip, qualifie cette Réfutation de «perfide et désobligeante[24]».
Apparemment écrit par un boulanger, ce texte commente chaque étape du procédé élaboré par Parmentier et conclut à son impossibilité et à son inutilité : «Nous répétâmes plusieurs fois ces expériences sans succès, et nous sommes en droit de conclure que le pain de pommes de terre exempt de mélange n'est pas praticable : 1° on ne peut pas faire avec ces racines un levain de chef; 2° la pâte de ce pain gardée, ne fournit pas non plus un levain; 3° la levure de bière, ou tout autre ferment étranger, ne lui communique pas cette propriété sans laquelle on ne peut faire de pain. [
] J'accorde pour un instant que l'on puisse faire du pain de pommes de terre. Quel bien en résultera-t-il? la pomme de terre n'a besoin que d'être cuite dans l'eau ou sous la cendre pour servir de nourriture, et ne demande aucune préparation; le pain, au contraire, est très long à fabriquer et très coûteux : prix qui sera toujours très grand, si l'on calcule la perte du temps que l'on sera obligé d'employer pour y réussir.» Il conclut : «L'on m'objectera sans doute, que l'on ne comprend pas comment ce pain est devenu si important et a attiré l'estime et l'éloge de tant de personnes? Je pourrais répondre à cette objection, mais je ne le ferai pas : il suffit que l'on sache que M. P
n'a pris pour témoins de ses expériences, que des hommes qui, quoiqu'instruits, ne voient que ce qu'on désire. La bonne foi est le bouclier de
la défiance. Si
ce procédé eût été exact, qui M. P
aurait-il choisi pour sa vérification? Les boulangers! Ce sont les seuls en état de décider sa valeur, et ils savent en effet le prix qu'on doit y attacher.» Fin de l'épisode.
En 1781, Parmentier reprend son Mémoire sur les végétaux nourrissants écrit neuf ans plus tôt et le développe. Il en résulte des Recherches sur les végétaux nourrissants, qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires, avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre[25]. Il consacre 150 pages (soit près d'un tiers du livre) à l'«Exposé des Objections faites sur la culture et l'usage des pommes de terre, apprêtées sous différentes formes, et de leurs réponses». Il revient sur la mutation des pommes de terre en pain : «Il ne faut pas regarder toujours cependant le bénéfice de changer la pomme de terre en pain, comme satisfaisant seulement l'imagination du peuple[26].» Ces FaQ's avant l'heure vont permettre à Parmentier de refaire le point sur son engagement : «Les premiers motifs qui m'ont déterminé à écrire sur la pomme de terre ne sont ignorés de personne; mais j'ai pensé qu'il ne suffirait point d'avoir vengé cette plante des accusations que l'esprit de système et de contradiction avait formées contre elle : je me suis occupé sans relâche des moyens de rendre sa culture plus générale, et de la faire adopter dans les cantons d'où les préjugés semblaient l'avoir bannie pour toujours; sans doute que ces moyens étaient les meilleurs qu'on pouvait employer, puisqu'ils ont réussi; et la pomme de terre, dédaignée, avilie, calomniée dans quelques endroits de
la France
, a acquis l'estime générale qu'elle mérite, depuis surtout qu'elle a été ennoblie par la panification[27].»
L'auteur de
la Réfutation
du pain de pommes de terre avait mis en cause l'amidon sur lequel Parmentier basait la réussite de son procédé comme principe alimentaire. C'est ce point que Parmentier va s'attacher à éclaircir. «L'auteur, précise l'EdJ, avait annoncé dans son mémoire, couronné par l'académie de Besançon, que l'amidon était la partie du grain qui nourrit le plus. Dans cet ouvrage-ci, il ajoute, pour mettre cette vérité dans tout son jour, de nouvelles expériences et de nouvelles preuves à celles qu'il avait déjà exposées.» Parmentier part d'une analyse chimique des aliments en général, considérée dans son rapport avec la digestion, pour convaincre ses lecteurs que la pomme de terre est l'aliment idéal. Il distingue trois substances réparties de façon inégale dans les aliments : le mucilage (soluble), l'assaisonnement (sapide) et un corps (solide) dont le but est de lester l'estomac. Il précise : «On conçoit aisément que ces trois substances, qui constituent l'aliment en général, se rencontrent rarement ensemble dans le même individu, et que plus souvent elles se trouvent distribuées séparément dans les différentes parties de la fructification des plantes. C'est à l'art à connaître les moyens de les en extraire, et de les réunir ensuite dans des proportions relatives entre elles, puisque de ces proportions combinées il en doit résulter une nourriture plus ou moins efficace et appropriée
»
Sans transition, il poursuit sa description de l'aliment en général en amalgamant à priori mucilage et matière nutritive : «il n'est par permis de douter que le mucilage, diversement modifié, ne soit réellement la matière nutritive, puisque dès la naissance d'une plante ou d'un animal, ce mucilage s'aperçoit, et qu'il ne les abandonne plus que longtemps après leur destruction, quelque changement qu'il leur soit arrivé pendant les différentes époques de la végétation et de la vie.» Comment justifie-t-il que l'assaisonnement soit indispensable à la digestion alors qu'on est «fondé à regarder la sobriété et l'exercice comme un des meilleurs assaisonnements des mets»? Point de luxe ici : «Les assaisonnements ne sont donc pas employés seulement pour rendre les mets plus délicats, ou dans la vue de flatter le palais; ils servent encore de correctifs, ils contribuent à rendre la nourriture plus savoureuse, plus soluble et plus appropriée à notre constitution; ils raniment les fibres de l'estomac, et les autres organes destinés à la digestion.»
Mucilage et assaisonnement, cependant, ne suffisent pas. Il faut qu'ils soient confondus «avec une autre substance plus abondante, d'un tissu plus compact et plus solide, qui puisse donner, si j'ose m'exprimer ainsi, du corps et de l'expansion à l'aliment; car il ne suffit pas d'être nourri, il faut encore être lesté». Qu'en est-il précisément de cette substance destinée à lester? «Toujours solide et compacte, elle sert de charpente ou d'enveloppe aux substances molles et flexibles, que renferment tant les végétaux que les animaux : elle est inattaquable par les différents menstrues, et fournit, étant soumise à la cornue, moins de produits flegmatiques et salins, que de résidus charbonneux.» À bon entendeur
Selon Parmentier, la nature a réparti ces trois substances dans les végétaux. Les proportions dans lesquelles elles sont naturellement présentes leur confèrent une qualité propre : «Ainsi les fruits, par exemple, qui renferment beaucoup d'humidité, et la plupart un principe piquant ou aigrelet, paraissent avoir été formés particulièrement pour étancher la soif; les semences farineuses plus constituantes et moins savoureuses pour apaiser la faim; les écorces plus sapides pour assaisonner les mets; enfin les feuilles, les tiges, et presque toutes les racines extrêmement abondantes en matière fibreuse pour servir de lest.» Le raisonnement est étendu à la nourriture animale. La digestion apparaît ainsi comme un corps à corps avec l'aliment, dont l'assimilation du principe nourrissant (le mucilage) constituerait l'enjeu.
Ceci dit, il ne reste plus à Parmentier qu'à décrire les aliments où le principe nourrissant est présent dans la meilleure proportion. À tout seigneur, tout honneur, il commence par les farineux, et au sein de ceux-ci par le froment : «Le farineux, qui mérite de tenir le premier rang, est, sans contredit, le froment, soit qu'on le considère du côté de sa vertu nutritive, soit par rapport à l'excellence de l'aliment qu'on en prépare.» Après avoir jeté «un regard rapide sur les autres farineux, qui servent de nourriture fondamentale aux différents peuples de toutes les contrées de la terre», soit «le seigle, l'orge, l'avoine, le millet, le riz, le sagou, le sarrasin, le maïs, la châtaigne, le coton fromager, la patate, etc.», il observe que «l'amidon en fait la base; que c'est toujours à raison de la quantité où se trouve cette substance, que les farineux possèdent une vertu plus ou moins nutritive». En conclusion, «c'est donc parmi les végétaux où il se trouve de l'amidon, qu'il faut chercher la partie principalement nourrissante des farineux, l'aliment par excellence, celui dont nous faisons un usage journalier».
La «nature du principe nourrissant» se trouvant ainsi déterminée par Parmentier, il lui reste à «indiquer les plantes qui peuvent suppléer, en temps de disette, à la nourriture ordinaire, et quelle doit en être la préparation». Le rédacteur de l'EdJ va brosser à grands traits cette partie («Dans la multitude des végétaux, il n'en est peut-être point qui fixe davantage l'attention de M. Parmentier que la pomme de terre») et il se contentera d'en énumérer le sommaire. Une seconde référence implicite est faite à l'auteur de
la Réfutation
du pain de terre quand celui-ci affirmait qu'en plus d'être impossible, la préparation de ce pain s'avère inutile et coûteuse. Absolument faux, répond Parmentier. S'il a «proposé de faire du pain de pommes de terre, c'est parce que ces racines contenant pour le moins les deux tiers de leur poids d'eau, il fallait en manger beaucoup et souvent pour être nourri, tandis que la panification concentre non seulement leurs propriétés nutritives, mais fournit une occasion d'en tirer encore parti dans les différents états où elles se trouvent, soit qu'elles soient surprises par la gelée, ou par la germination, soit qu'elles aient quelque défaut de maturité». Ce pain est aussi «l'unique moyen de procurer aux habitants de la campagne, où il ne vient que des pommes de terre, l'avantage de s'en sustenter toute l'année, sans donner exclusion néanmoins aux autres formes sous lesquelles on les mange ordinairement».
En 1785[28],
la France
est ravagée par une sécheresse qui occasionne «dans plusieurs provinces du royaume, la perte d'une partie des bestiaux» et qui répand «dans toutes la crainte de ne pouvoir en conserver le nombre nécessaire pour l'agriculture». Une Instruction sur les moyens de suppléer à la disette des fourrages, et d'augmenter la subsistance des bestiaux[29] est publiée par ordre du roi le 31 mai. Attribuée à Lavoisier, elle fournit à la fois des conseils aux cultivateurs pour pallier l'absence de denrées fourragères et des recommandations pour les années à venir, quelles que soient les conditions climatiques. Parmi les herbes et plantes potagères susceptibles de fournir «une excellente nourriture au bétail», «les pommes de terre et les diverses espèces de choux et de navets, forment une excellente nourriture pour le bétail, et surtout pour les vaches, auxquelles elles procurent un lait abondant et de bonne qualité». Après avoir rappelé les avantages de la pomme de terre (culture rapide; fourrage idéal pour les chevaux, les vaches et les animaux de basse-cour; productivité), l'Instruction conclut : «La circonstance actuelle prouve combien il est intéressant de donner de l'extension à cette culture et à toutes celles qui peuvent suppléer aux fourrages dans les années de disette : car l'inconstance des saisons doit réveiller l'attention des cultivateurs qui, dans presque toutes les provinces septentrionales, comptent trop exclusivement sur la récolte des foins et des avoines.» Deux mois plus tard[30], Nicolas-Alexandre Mustel, auteur d'un Mémoire sur les pommes de terre en 1767, affirme qu'il est trop tard dans l'année pour planter des pommes de terre et propose de donner des rameaux comme nourriture au bétail.
La même année, une lettre[31] publiée dans le numéro de décembre étend le champ des possibles. Il y est cette fois question de la fécule de pomme de terre dont M. Montant, son auteur, décrit les usages multiples, variés et toujours délicieux. On peut la délayer dans le bouillon, le lait, le café, le chocolat. Les omelettes ont tout à gagner à sa compagnie. Elle sert de base à «des crèmes et des gelées de toutes espèces». «On fait encore avec la même fécule de la pâtisserie beaucoup plus délicate, et des biscuits plus excellents qu'avec de la farine ordinaire». Si elle est la matière première de pâtisseries délicates, la pomme de terre est aussi une excellente nourriture pour les chevaux : c'est ce que nous rappelle, quelques mois plus tard[32], une lettre du baron de*** «Nous nous sommes réunis mon curé, mon fermier et moi, sans pouvoir prendre de parti, ignorant s'il fallait la donner crue ou cuite, entière ou coupée, seule ou mêlée, enfin à quelle mesure.» Grande première : c'est la racine elle-même qui sert ici d'aliment au bétail, et non les tiges et les feuilles.
C'est dans le numéro d'octobre 1786[33] de l'EdJ que la plaine des Sablons[34] est évoquée pour la première fois. Suite aux sécheresses de l'année précédente, «M. le contrôleur-général a autorisé la société royale d'agriculture à disposer d'une partie de la plaine des Sablons pour voir jusqu'à quel degré le terrain le plus aride et le plus ingrat pourrait être propre à la culture de la pomme de terre. [
] Malgré les circonstances les plus défavorables, la qualité du sol, un seul labour sans engrais, la plantation reculée jusqu'au 15 mai, six semaines après l'époque ordinaire, trente-cinq jours consécutifs de sécheresse et le dégât des troupeaux, cependant elles y viennent très bien [
]. Cette expérience prouve qu'il y a peu de sols dans lequel on ne puisse tenter avec avantage cette culture, qui offre une nourriture saine et abondante aux hommes et aux animaux.» Onze mois plus tard[35], le diagnostic est confirmé : «Le terrain est couvert de fleurs dans le moment actuel, et dans peu il offrira à quelques pouces de profondeur, une récolte de vingt mille boisseaux d'une racine qui constitue la principale nourriture de nombre de provinces en Europe et en Amérique; nourriture qui convient également à l'homme, aux chevaux, bufs, vaches, moutons, cochons et oiseaux de basse-cour. Ces pommes de terre ont été plantées tout simplement à la charrue, et ainsi que l'année précédente, sans engrais. Demain samedi, après-midi, on les sarclera, et on les butera avec le petit cultivateur américain; manière de les cultiver, qui économise les frais et la main d'uvre. Cette culture fera époque dans l'histoire des travaux de la société royale d'agriculture, et elle ne peut que devenir la source d'un grand bien, en prouvant que la pomme de terre peut réussir dans un sol sec et aride.»
Le matin du 13 juillet 1788, un violent orage de grêle s'abat sur la France[36] et en détruit les cultures. Un Avis aux cultivateurs dont les récoltes ont été ravagées par la grêle du 13 juillet dernier[37] est publié par ordre du roi. Rédigé par
la Société
royale d'agriculture, il est dû à la plume de Charles-Germain Bourgeois, Antoine Augustin Parmentier et André Thouin. Il se compose de trois parties : «Observations sur les ressources que peuvent encore se procurer les cantons ravagés par la grêle» (Parmentier); «Note sur le traitement qui convient aux arbres maltraités par la grêle» (Thouin); «Extrait d'une lettre» (Bourgeois).
«La grêle ne porte point avec elle un poison mortel; c'est un préjugé qu'il importe de détruire» précise le rédacteur de l'EdJ en septembre 1788[38]. «Elle agit mécaniquement en brisant, en hachant les végétaux, ce qui les fait nécessairement ou souffrir ou périr. Elle produit en outre l'effet de refroidir le sol; mais il n'en est pas pour cela moins disposé à une nouvelle végétation[39]». La préoccupation des auteurs est double : comment sauver ce qui peut l'être et comment entreprendre de nouvelles cultures. Il s'agira de nourrir hommes et bestiaux bestiaux dont le nombre s'est considérablement réduit depuis la grande sécheresse de 1785. Les pommes de terre figurent parmi ce qui peut être sauvé. On réchauffera celles qui sont plantées «soit par un léger binage, soit en les buttant». On obtiendra ainsi «une abondante récolte», «cette plante pouvant même braver la grêle que les autres végétaux ont tant à redouter». Il est donc «important de donner de l'extension à sa culture», puisque «les cantons qui s'y adonnent seront préservés des malheurs de la disette dont d'autres sont menacés.» Par contre, les pommes de terre ne figurent pas au tableau des cultures à entreprendre dans l'immédiat. «C'est en vain que l'on compterait sur les pommes de terre; il leur faut quatre mois pour parcourir le cercle de leur végétation.»
En décembre 1788[40], une lettre de M. Sage rappelle à ceux qui l'auraient oublié que Parmentier a mis au point un procédé pour fabriquer un pain de pommes de terre : «Je n'ai pas présent à la mémoire tout ce que M. Parmentier a publié d'intéressant sur cet objet, mais je crois qu'il serait utile de rappeler dans le moment actuel un procédé que l'abondance des grains dans les années précédentes a fait négliger.»
Une saynète, pour poursuivre cette trop longue promenade avec. Parmentier. M. Le Breton, membre de l'Académie des sciences d'Upsala, informe les lecteurs de l'Esprit des journaux qu'il n'est pas jusqu'au roi d'Angleterre que ne se soit mis à la consommation régulière de la pomme de terre. Celle-ci n'est-elle pas mangeable, fraîche, toute l'année, quand elle se cultive sous châssis [41]? Le souverain les dévore peut-être, mais non les paysans de M. Le Breton, qui témoigne : «J'ai proposé la culture des pommes de terre aux fermiers de St. Germain, sans pouvoir les y déterminer, malgré les produits et les avantages qui sont évidemment connus, d'après les expériences de M. Parmentier dans les mauvaises terres de la plaine de Grenelle, et celle des Sablons.» Alors entre en scène M. Bled (le mal nommé!). Fermier de Mgr. le maréchal de Noailles, il est réfractaire au nouvel aliment. Le Breton poursuit : «je lui ai fait les mêmes propositions que les années précédentes : il les a également refusées.» Le disciple de Parmentier donnera à M. Bled l'ordre de prendre deux arpents «non cultivés depuis plusieurs années, et dans lesquels on avait semé inutilement de l'orge, de l'avoine, et du sarrasin», pour y planter des tubercules.
On devine la suite : «le 15 septembre, Bled est venu me trouver pour me donner des nouvelles de la récolte, persuadé que je lui payerais les frais de culture, et que j'en retiendrais le produit. Je lui ai demandé d'abord si la récolte était bonne.
Superbe.
Tant mieux, j'en suis charmé pour vous. Comment, Monsieur, est-ce que vous voudriez?...
Oui, mon ami, vous ne m'en donnerez que deux boisseaux : vous avez été grêlé. Ah! Monsieur, si je vous avais cru, j'en aurais cultivé douze arpents, et j'aurais payé mon fermage avec le produit de la vente. Combien comptez-vous de septiers de pommes de terre dans vos deux arpents?
Cent. Combien le septier? Sept à 8 livres; ce qui fait la somme de 7 à 800 livres
, sur laquelle prélevant
70 livres
pour les frais de culture, reste au moins
630 livres
de profit net. Et combien vous auraient rapporté deux arpents de seigle, si vous n'aviez pas été grêlé?
Six à huit septiers. Combien le septier?
15 à
18 livres
suivant l'année. Frais de culture, combien?
80 livres
pour les deux arpents. À combien portez-vous le produit net?
De 40 à
50 livres.»
Dans un échange où la comptabilité fait bon marché de la syntaxe, sous les chiffres qui claquent, le grain ne peut que capituler devant la pomme de terre.
En juin 1789, l'Esprit des journaux accueille l'annonce d'un nouvel ouvrage de Parmentier : un Traité sur la culture et les usages des pommes de terre, de la patate et du topinambour [42]. Celui-ci «paraît dans une circonstance bien favorable». «La grêle et le froid, joints à la médiocre récolte de l'année dernière, ayant dû forcer d'ouvrir les yeux sur les avantages incontestables de la culture des pommes de terre, M. Parmentier a présumé que la leçon du malheur et du besoin vaudrait mieux, dans ces circonstances, que le succès de l'expérience la plus concluante»
Un court aperçu historique de l'introduction du tubercule en Europe apprend notamment qu'il a sauvé les Irlandais de la pauvreté et de la maladie et que désormais «rien n'est moins rare que de voir parmi eux des vieillards et des jumeaux autour de la cabane des paysans». L'EdJ récapitule ensuite les avantages de la culture et de l'apport nutritionnel, aussi bien pour les hommes que pour les animaux : «c'est bien, de toutes les productions des deux Indes, celle dont l'Europe doit bénir le plus l'acquisition, puisqu'elle n'a coûté ni crimes ni larmes à l'humanité.» En guise de nouveauté, Parmentier fournit une courte description des variétés «qu'il a cultivées et propagées dans le royaume». «Il se croit d'ailleurs à cet égard le plus riche propriétaire du monde.»
Sont ainsi envisagées :
la Grosse-blanche
,
la Blanche-longue
,
la Jaunâtre-ronde
-aplatie,
la Rouge-oblongue
,
la Rouge-longue
,
la Rouge-dite
-souris (ou Corne-de-vache),
la Pelure-d
'oignon (ou Langue-de-buf),
la Petite-jaunâtre
-aplatie (ou Espagnole),
la Rouge-longue
-marbrée,
la Rouge-ronde
,
la Violette
et
la Petite-blanche. De
cette énumération,
la Grosse-blanche
sort grand vainqueur : «La Grosse-blanche est celle à laquelle il faut s'attacher spécialement, lorsqu'on a en vue l'engrais du bétail, l'extraction de la farine ou amidon, et la préparation du pain; elle est la plus propre à tous les pays, et ne manque presque jamais dans les fonds légers les plus stériles. Elle est d'une excellente qualité pour la table.»
L'EdJ enseigne à ses lecteurs, de façon très précise, les deux principales méthodes de culture de la pomme de terre : la culture à bras et la culture à
la charrue. La
seconde doit être préférée à la première parce que, bien que moins productive, elle a l'avantage d'offrir un «un moyen d'occuper les vieillards, les femmes et les enfants». C'est à la description d'un ballet chorégraphié de main de maître par Parmentier que le journaliste nous convie alors. Y apparaissent successivement, et dans une joyeuse harmonie, enfants, femmes, vieillards, et même quelques vaches et moutons
Un vrai conte de Noël. Que la vie est simple et belle «quand on réunit l'inspiration de l'intérêt personnel aux conseils d'un homme éclairé».
Le dernier article concernant notre propos est dû à un «patriote» qui livre, en décembre 1789, des conseils pour la conservation des pommes de terre pendant l'hiver[43]. Un article sur leur conservation ne se réduit jamais à son intitulé, mais s'accompagne toujours d'un inventaire d'arguments en faveur du tubercule. Le compte rendu n'évite pas les couplets traditionnels : «Ces racines si précieuses pour la nourriture et la santé de l'homme et celle de ses bestiaux, offrent tant de ressources qu'on ne doit rien négliger pour leur conservation et leur multiplication, la culture devant être regardée comme une des premières sources de richesse et de population pour
la France.
[
] Si la pomme de terre, dont la récolte est plus ou moins bonne, selon les circonstances, mais qui ne manque jamais, était plus généralement cultivée, nous ne craindrions plus ni disette de grains, ni disette de fourrages.» La liste est connue
Le patriote va la compléter par un «avantage» qu'amorçait déjà Parmentier : «il faut compter aussi celui d'occuper les bras souvent inactifs des vieillards, des femmes, des enfants pour les légères façons que cette culture exige, et de pouvoir ensuite les nourrir à très bon compte pendant l'hiver.» Comment ne pas convaincre ainsi les derniers sceptiques [44]?
Pour mener à terme notre travail, nous avons bénéficié d'informateurs efficaces et diligents qui ont la haute main sur les trésors de la Bibliothèque précieuse de la Bibliothèque royale de Belgique et qui sont généreux de leur temps.
NOTES
[1] www.ddc.admin.ch/fr/Dossiers/Dossier_Patate_DDC/Annee_internationale_
de_la_pomme_de_terre
[2] Depuis 1959, l'Assemblée générale de l'ONU «désigne des années internationales pour attirer l'attention sur de grandes questions et encourager la collectivité mondiale à se pencher sur des dossiers revêtant de l'importance et ayant des conséquences pour toute l'humanité». Elle a aussi proclamé 2008, Année internationale des Langues, Année internationale de
la planète Terre
et Année internationale de l'assainissement.
[3] Voir Fernand Pirotte, La pomme de terre en Wallonie au XVIIIe siècle, Liège, Éditions du Musée de
la Vie
wallonne, 1976.
[4] «Mémoire sur les causes de la mendicité, et les moyens d'y remédier par un Chanoine député à l'Assemblée générale des États d'Artois», L'Esprit des Journaux, janvier 1775, p. 284-95.
[5] Turgot introduisit la pomme de terre dans la généralité de Limoges (comprenant les provinces du Limousin, de l'Angoumois et de la Basse-Marche) qui était à l'époque une des régions les plus pauvres de France et dont il fut l'Intendant (ayant donc la charge de la justice, de la police et des finances) de 1761 à 1774. Au moment où il lance cette enquête sur la mendicité, il est contrôleur général des Finances depuis le 24 août 1774 et ministre d'état depuis le 26 du même mois.
[6] Sollicité, l'évêque-comte de Saint-Paul de Léon (Finistère), Jean-François de la Marche, surnommé l'«évêque des pommes de terre» («eskob ar patatez») parce qu'il en avait développé la culture dans son diocèse, y voyant un moyen de pallier à la pauvreté et à la famine, rédigea une étude sur la mendicité dans son diocèse.
[7] Cette enquête aboutit en 1775 à la rédaction d'un Rapport sur la mendicité par Loménie de Brienne. Voir Guy Thuillier, Aux origines de l'administration sociale : le rapport sur la mendicité de Loménie de Brienne en 1775, Paris, Association pour l'étude de l'histoire de la Sécurité sociale, 2003.
[8] Occuper les pauvres, «chacun selon son sexe, son âge et ses forces», est essentiel pour notre chanoine. À la fois, parce qu'«il n'y a pas un pauvre, à moins que ne soit infirme ou décrépit, que l'on ne puisse employer à quelque objet utile, et dès qu'il sait travailler, il n'a plus besoin de mendier» et parce que «les enfants prennent du goût pour le travail, dès qu'ils ont appris qu'ils sont nés pour lui; ils coopèrent aux mouvements que le père se donne pour les faire vivre». L'attention aux enfants est omniprésente dans ce mémoire : «C'est par l'une de ces causes [causes physiques], ou par la réunion de plusieurs, que des citoyens, qui regorgeaient de superfluités, se sont appauvris, et ont réduit leurs enfants à détester la vie» (p. 287); «Leurs enfants [ceux des pauvres domiciliés] sont élevés dans l'amour de ce vice, au point que leur tendre éducation est des plus négligée. Ils font de bonne heure leur apprentissage dans la mendicité, qu'ils envisagent comme un métier aisé qui ne contraint nullement
la liberté. Que
deviennent-ils, lorsqu'ils sont grands?» (p. 289).
[9] Barthélemy Imbert, «Épître à M. de Voltaire, sur un pain qu'il avait composé avec des pommes de terre», L'Esprit des Journaux, février 1775, p. 245-46.
[10] Voltaire, «Lettre XXVI à M. Parmentier», uvres complètes, Imprimerie de la Société littéraire typographique, 1784, p. 45.
[11] Antoine Augustin Parmentier, Examen chimique des pommes de terre, dans lequel on traite des parties constituantes du blé, Paris, Didot le jeune, 1773.
[12] «La Faculté de Médecine de Paris fut consultée en 1771, par M. le Contrôleur général, sur la salubrité des pommes de terre, que l'on accusait d'occasionner des maladies dans quelques-unes de nos provinces. Le rapport le plus capable de dissiper toutes les craintes que donna cette savante Compagnie, m'engagea dès lors à examiner ces racines par toutes les voies que la chimie suggérait, et mon travail eut l'avantage de seconder ses vues d'utilité» (Antoine Augustin Parmentier, Traité sur la culture et les usages des pommes de terre, de la patate, et du topinambour, Paris, Barrois aîné, 1789, p.iii).
[13] «Sur les pommes de terre», L'Esprit des Journaux, novembre 1777, p. 356-58. Difficile de résister au plaisir de dévoiler les secrets de fabrication de ce fromage : «On fait cuire les pommes de terre jusqu'à ce qu'elles s'amollissent, mais non pas assez pour qu'elles crèvent. Ensuite on les pèle promptement, et on les râpe pour en faire une espèce de farine grossière. On jette sur cette farine une certaine quantité de lait caillé; et c'est de cette proportion que dépend la qualité du fromage : quatre livres de lait sur deux livres de pommes de terre, suffisent pour le plus délicat. On pétrit cette pâte : on la couvre ensuite et on la laisse reposer trois jours, après lesquels on la pétrit de nouveau, et on fait le fromage à l'ordinaire. Si on craint que la chaleur ne le fasse crever, on l'arrose de bière; et on l'enveloppe dans du mouron, en le plaçant dans les formes. On le rend meilleur, en y mêlant une cuillère de crème. Plus ce fromage vieillit, plus il est délicat : mais on ne peut le garder que dans un endroit bien sec.»
[14] «Pain de pommes de terre», L'Esprit des Journaux, février 1779, p. 340 et suiv.
[15] Pour l'anecdote, nous reproduisons ici la lettre signée Cadet le Jeune que Benjamin Franklin reçu, accompagnée de deux pains de pommes de terre, le 8 octobre 1778. Admirons en particulier le second paragraphe du post scriptum dans lequel Cadet le Jeune demande à Franklin de faire passer un pain à Mme Helvetius. «Dear Doctor, / I have the honour to send you potato bread, made without a single atom of flour and without mixture of any other foreign substance. / This discovery, so valuable and important, has been made by a Mr Parmentier, my colleague and my friend; both united on this subject, we are now looking to take this into perfection, though it is very sensitive, and to ensure it to be, during shortages, a resource for humanity. / This bread differs a bit from formal bread by its whiteness, its flavour, its lightness and has the benefit of neither mill nor miller; I am not talking about the easiness by which the potato can grow, the price it receives; the white shouldn't cost more than 1 shilling and 6 pence and the grey hardly retails for 9 deniers. / I would like to receive the honour to court you, Sir, and to go into the details that you might have on this subject, which can only be of interest to a philosopher, a friend of man, and a legislator like you. / I am, with the deepest respect, and the sincerest admiration Sir, Your most humble and obedient servant. / Cadet the Younger / P.S. This bread has been quickly baked in the oven which makes it less attractive to the eye, less than ideal circumstances. / I have taken the liberty to add a second bread which I would like to ask Mr Franklin to pass it on to Mrs Helvétius; it shall be better spent on her. / Cadet, potato bread» (Hilaire Duboucq, Benjamin Franklin. Book of Recipes, Londres, FlyFizzi Publishing, 2004, p. 91).
[16] On sait que le pain de pommes de terre fut fabriqué le 29 octobre 1778.
[17] «Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de farine», L'Esprit des Journaux, juin 1779, p. 90 et suiv.
[18] Antoine Augustin Parmentier, Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de farine, Paris, Imprimerie royale, 1779.
[19] Parmentier redoute en particulier que son pain de pommes de terre soit confondu avec le «pain de pommes de terre mélangé» : «Prisonnier de guerre en Westphalie, j'ai vu et mangé de ce soi-disant pain, mon palais s'en rappelle encore le souvenir; le pain noir, mat et amer de sarrasin, placé à côté, aurait pu passer pour du pain mollet» (ibidem, p. 13).
[20] Sur l'appareillage nécessaire au procédé, l'EdJ reviendra dans la seule note de bas de page qui accompagne sa recension de Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans le temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires, avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre : «On trouve dans ce volume une planche qui représente les instruments nécessaires à la fabrication du pain de pommes de terre, avec l'explication de leur usage» (L'Esprit des Journaux, octobre 1781, p. 107).
[21] La couleur du pain de pommes de terre «presqu'aussi blanc» est un critère de réussite déterminant : elle est plus proche du blanc du pain de pur froment des riches que du noir du pain de seigle des pauvres. C'est cette raison parmi d'autres qui fera abandonner quelques années plus tard (1780) les recherches de Parmentier, annoncées à la fin de l'article, sur la fabrication du pain de châtaignes : «Pourrait-on en voyant le pain de châtaignes, c'est-à-dire, une substance d'un brun foncé, compacte, et d'une saveur aigre-douce, imaginer que c'est là le résultat d'un fruit blanc, agréable et savoureux.» Plusieurs allusions à la blancheur parsèment la relation de l'Avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes, sur la meilleure manière de faire leur pain de Parmentier (Paris, Imprimerie royale, 1777) : «on peut, sans augmenter les embarras et les frais, obtenir, du bled même le plus médiocre, un pain savoureux, léger et blanc» (L'Esprit des Journaux, novembre 1777, p. 72), «Si
la bonne Ménagère
voulait avoir un pain plus léger, plus blanc, plus parfait» (ibid., p. 76), «C'est l'affaire de trois heures de plus pour avoir un pain meilleur, blanc, plus salubre» (ibid., p. 76).
[22] «Lettre de M. Parmentier, aux auteurs du Journal de Paris», L'Esprit des Journaux, juin 1779, p. 336 et suiv.
[23] «Réfutation du pain de pommes de terre, sans mélange de farine : adressée aux rédacteurs de l'Esprit des Journaux», L'Esprit des Journaux, juillet 1780, p. 339 et suiv.
[24] Anne Muratori-Philip, Parmentier, Paris, Plon, 2006, p. 122.
[25] Antoine Augustin Parmentier, Recherches sur les végétaux nourrissants, qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires, avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre, Paris, Imprimerie royale, 1781.
[26] Ibidem, p. 568.
[27] Ibidem, p. 440.
[28] Entre-temps, l'EdJ aura publié trois courtes lettres, une de Parmentier et deux de cultivateurs, qui font part des succès remportés avec le tubercule (L'Esprit des Journaux, octobre 1784, p. 355; décembre 1784, p. 370; mars 1785, p. 387).
[29] «Instruction sur les moyens de suppléer à la disette des fourrages, et d'augmenter la subsistance des bestiaux», L'Esprit des Journaux, août 1785, p. 342 et suiv.
[30] «Mémoire où l'on indique un moyen sûr de suppléer abondamment à la disette des fourrages, lu à l'académie de Rouen ; par M. Mustel, auteur du Traité de la végétation», L'Esprit des Journaux, octobre 1785, p. 378 et suiv.
[31] «Fécule, ou farine de santé, tirée du choix des pommes de terre ; par M. de Montant», L'Esprit des Journaux, décembre 1785, p. 358 et suiv.
[32] «Lettre de M. le baron de**, aux auteurs du Journal de Paris, sur l'emploi de la pomme de terre pour la nourriture des chevaux», L'Esprit des Journaux, juin 1786, p. 356 et suiv.
[33] «Culture des pommes de terre», L'Esprit des Journaux, octobre 1786, p. 357 et suiv.
[34] C'est la plaine des Sablons que Parmentier aurait fait garder par des soldats pour exciter la curiosité du peuple de Paris.
[35] «Culture des pommes de terre», L'Esprit des Journaux, novembre 1786, p. 351 et suiv.
[36] De l'orage du 13 juillet 1788, Henri-Alexandre Tessier, de l'Académie des Sciences, fit ce compte-rendu : «L'orage commença dans le midi de la France, le 13 juillet 1788 au matin; il prit naissance dans les Pyrénées, il ravagea la France et les Pays-Bas, et parut s'arrêtera
la Baltique. Il
se propagea simultanément sur deux bandes parallèles, chacune de plusieurs lieues de large, l'une se dirigeant d'Amboisc à .Malines, l'autre de l'embouchure de l'Indre à Gand. Elles étaient séparées par une bande qui reçut seulement une pluie abondante : sa plus grande largeur était de 7 lieues 1/2, sa plus petite de 3 lieues, et sa largeur moyenne de 5 lieues 1/4. À l'orient de la bande orientale et à l'occident de la bande occidentale, il y eut aussi beaucoup de pluie, mais dans une largeur qui n'a pas été déterminée. Ces bandes étaient un peu ondulées, mais leur direction générale courait du sud-ouest au nord-est. Une ligne droite tirée d'Amboise à Malines formait à peu près le milieu de la bande orientale, et une autre ligne droite tirée de l'embouchure de l'Indre dans la Loire jusqu'à Gand, formait à peu prés le milieu de la bande occidentale. Sur cette longueur, qui est de plus de cent lieues pour chaque bande, il n'y eut aucune interruption dans l'orage; et même d'après des renseignements précis, on peut conclure qu'il couvrit encore plus de 50 lieues au sud et 50 lieues au nord, ce qui donne à chaque bande une longueur totale de plus de 200 lieues. Dans cette immense étendue, les divers points ne furent pas frappés à la fois; mais on reconnut par la comparaison des heures, que l'orage avait une marche très rapide depuis les Pyrénées, où il semble avoir pris naissance, jusque dans la Baltique, où l'on en perdit
la trace. Sa
vitesse était de 16 lieues 1/2 à l'heure sur les deux bandes ; mais la bande orientale avait un peu d'avance sur la bande occidentale. Dans chaque lieu, la grêle ne tomba que pendant 7 ou 8 minutes. Les grêlons n'avaient pas tous la même forme : les uns étaient ronds, les autres longs et armés de pointes, les plus gros pesaient
8 onces
. Le nombre des paroisses dévastées fut en France de 1 039 ; le dommage qu'elles éprouvèrent fut évalué par une enquête officielle à 24,690,000 francs» (Mémoires de l'Académie des sciences, année 1790, p. 263 et suiv.).
[37] Charles-Germain Bourgeois, Antoine Augustin Parmentier et André Thouin, Avis aux cultivateurs dont les récoltes ont été ravagées par la grêle du 13 juillet dernier, Paris, Imprimerie royale, 1788.
[38] «Avis aux cultivateurs dont les récoltes ont été ravagées par la grêle du 13 juillet dernier, rédigé par la société royale d'agriculture, et publié par ordre du roi», L'Esprit des Journaux, septembre 1788, p. 179 et suiv.
[39] Cette croyance impliquait que les cultivateurs laissent en friche leur terrain pendant plusieurs années après la grêle.
[40] «Lettre de M. Sage, aux auteurs du Journal de Paris», L'Esprit des Journaux, décembre 1788, p. 363.
[41] «Divers objets d'économie rurale et domestique», L'Esprit des Journaux, février 1789, p. 386 et suiv.
[42] Paris, Barrois aîné, 1789. EdJ, p. 89 et suiv.
[43] «Avis au peuple sur la conservation des pommes de terre pendant l'hiver, par un patriote», L'Esprit des Journaux, décembre 1789, p. 381 et suiv.
[44] Si la culture de la pomme de terre va progresser en France au cours des décennies qui suivront, elle continuera à accuser un «retard certain sur les pays voisins : en 1821, elle cultive
600.000 hectares
de pommes de terre quand
la Belgique
, dont le territoire est 18 fois plus petit, en cultive 115.000, et, en 1840,
la seule Prusse
, non l'Allemagne, produit 40 millions de quintaux tandis que
la France
n'en produit que 10 millions» (Fernand Pirotte, La pomme de terre en Wallonie au XVIIIe siècle, p. 74-75).
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