Société wallonne d'étude du 18e siècle (SWEDHS) : La Minerve, d'Étienne-Gaspard Robertson
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Étienne-gaspard Robertson :
La minerve


En 1803, le Liégeois Gaspard Robertson publiait à Vienne une brochure dans laquelle il décrivait un projet de navire aérien appelé «Minerve». Maintenu dans les airs par un ballon de 50 mètres de diamètre, ce navire était destiné à contenir 72.000 kg et à transporter pendant plusieurs mois 60 passagers sans se poser. La «Minerve» abritait notamment un petit bateau pour les urgences, un grand magasin pour les provisions, un gymnase, un théâtre et une salle de musique, une cuisine, un observatoire, ainsi qu'un «logement pour quelques dames curieuses»… L'accès aux différentes parties de l'appareil était assuré par des échelles de soie.

Ce texte devenu introuvable est retranscrit ci-dessous à partir de la deuxième édition (Paris, Hoquet, 1820).

– MURIEL COLLART



LA MINERVE, / Vaisseau Aérien / Destiné aux Découvertes, et proposé à toutes les Académies de l'Europe; / Par le Physicien Robertson, / Ci-devant Professeur à l'Ecole centrale du département de l'Ourthe, de la Société Galvanique, de celle d'Émulation de Liège, et de celle pour l'Encouragement des Sciences et Arts de Hambourg. / SECONDE ÉDITION, REVUE ET CORRIGÉE. / Dessin / VIENNE, / De l'Imprimerie de S. V. Degen. — 1804. / Ligne / Réimprimé à PARIS, chez Hocquet, en 1820.

[i] Au Professeur Volta !

[iii] C’est à vous, mon respectable professeur, dont les entretiens et l’amitié ont été si utiles à mon instruction, que je dédie cette pensée de ma jeunesse. J’ai votre approbation, puisque ce projet vous a fait sourire, et que votre esprit profond, qui a si souvent rectifié les écarts de mon imagination, ne m’en a pas démontré l’impossibilité. À l’âge où nous sommes, mon amitié ne forme qu’un seul vœu, c’est que nous vivions assez longtemps l’un et l’autre ; vous, pour calculer et utiliser les [iv] résultats de cette machine, et moi pour en diriger l’exécution.
Votre vieux admirateur et disciple,
E. G. Robertson

[5] La Minerve,
Vaisseau Aérien destiné aux Découvertes, et proposé à toutes les Académies de l’Europe ;
Par le Professeur Robertson,
Physicien.

Celui qui pose la limite des sciences et des arts n’est pas fait pour les cultiver ! On peut tout espérer, tout attendre du temps, du hasard et du génie de l’homme. La différence qu’il y a entre le canot d’un Sauvage et un vaisseau de guerre de 124 canons, est peut-être aussi grande que celle des ballons actuels, à ce qu’ils seront dans un siècle. Si vous demandez à l’Aéronaute pourquoi il ne peut pas diriger son ballon, il vous demandera à son tour, pourquoi celui qui inventa la [6] première gondole ne fit pas tout de suite un vaisseau de guerre ? Il est juste de rappeler qu’il ne s’est pas encore écoulé 40 ans depuis la découverte des Aérostats, et de convenir que son perfectionnement présente les plus grands obstacles, tant sous le rapport des connaissances étendues, que sous celui des sacrifices pécuniaires et le dévouement qu’il exige.
L’opinion de quelques savants qui n’ont jamais fait aucune découverte et qui, au coin de feu, le compas à la main, ne cherchent l’inconnu que dans les choses connues, ne doit pas alarmer le génie. Le temps est là, il mûrit tout, il découvrira tôt ou tard dans les arts, dans la chimie et la mécanique un nouveau levier à la puissance de l’homme.
Celui qui doute de ce que peut le génie et qui proclame son impuissance, n’a pas vu ni entendu le Phonorganon, machine ingénieuse, au moyen de laquelle je forme des mots et des phrases, et j’imite la parole de [7] l’homme (Voyez la note Ire. ; il n’a pas entendu mon automate trompette, qui de sa poitrine, tire les sons les plus éclatants et joue de la trompette avec autant de perfection que le musicien le plus habile.
[8] Des hommes de lettres, sans jamais avoir eu le courage, pas même la pensée, de quitter un seul instant la terre, ont écrit hardiment sur l’aérostation ; ils ont commis des erreurs, parce que cette matière leur était étrangère. Les uns ont avancé qu’un aérostat parvenu dans les hautes régions de l’atmosphère se mettait en équilibre avec l’air ambiant : les autres, dont le génie ne trouvait aucun point d’appui, comparant, sans réfléchir, le ballon qui nage, à l’oiseau qui vole, ont hardiment décidé que les moyens mécaniques qui servent à l’un, ne pourront jamais s’appliquer à l’autre. Enfin, un aéronaute instruit assure qu’élevé dans l’atmosphère, il avait été obligé de jeter son leste pour s’élever plus haut, tandis que la force ascensionnelle du ballon croit à mesure qu’il se débarrasse des couches inférieures de l’atmosphère ; il est donc bien certain que l’art aérostatique ne fera jamais que de faibles progrès, tant que les savants et ceux qui veulent écrire sur cette [9] matière, ne connaîtront point par leur propre expérience cet art difficile, tant qu’ils balanceront de s’embarquer hardiment, et pour quelque temps dans un aérostat, afin d’en connaître les avantages ou les inconvénients. Peut-être la découverte de la direction et d’autres grands phénomènes, attendent-ils cet effort pour se présenter à eux. C’est cet espoir qui a donné au physicien Robertson l’heureuse pensée de proposer à toutes les Académies de l’Europe, et aux Sociétés savantes, un aérostat imposant par sa forme, étonnant par ses effets, et utile par ses résultats pour parcourir tous les points du globe.
Il faut avouer que depuis la découverte des aérostats, il n’a rien été conçu, rien tenté pour ajouter à l’une des plus belles découvertes qui ait illustré le génie français. Il ne faut pas mettre au rang des grandes conceptions les essais faits à Vienne et répétés à Paris par Jacob Degen (voyez la 2e. [10] note), ni ceux qu’on offert indiscrètement au public des hommes sans génie qui n’avaient pas les premières notions de mécanique et d’aérostatique. L’artiste qui m’a paru marcher d’après quelques principes, est M. Pauli, de Genève (voyez la 3e. note). Un Maréchal de France voulu bien s’intéresser à son essai de direction ; et c’est, je crois, la seule fois dans les annales de l’aérostation où un riche capitaliste ait bien voulu sacrifier 50,000 fr. pour encourager un essai aérostatique.
Ainsi, cette invention, après avoir dans son enfance électrisé tous les savants d’un bout de monde à l’autre, a eu le sort de toutes les découvertes, elles s’est tout à coup arrêtée. À cet égard, soyons impartiaux : l’Astronomie n’a-t-elle pas attendu longtemps Newton, et la Chimie Lavoisier, pour éclairer leur marche ? L’aimant n’a-t-il pas été longtemps un hochet dans les mains des Chinois, avant d’avoir fait naître l’idée de la Boussole ? Le [11] fluide électrique était connu du temps de Thalès ; mais après combien de siècles le Galvanisme est-il venu étonner l’Électricité et contrarier les effets de la boussole ? Cependant ces sciences dont l’étude et les recherches se font dans la retraite et le silence, offraient des chances plus faciles aux découvertes, que les aérostats, dont les expériences exigent du courage, de la pratique, et dont les essais toujours publics, sont ordinairement au-dessus de la fortune de ceux qui courent cette carrière.
La machine aérostatique appelée la Minerve, que propose le Professeur Robertson, aura 150 pieds de diamètre, et sera capable d’élever 72,954 kilogrammes, équivalant à 149,037 livres de France. Les précautions et les soins qu’on prendra pour l’exécution de cette immense machine, en assureront la solidité et son imperméabilité ; elle pourra emporter toutes les choses nécessaires à la commodité, et à l’entretien [12] de 60 personnes instruites, choisies par les Académies, et qui s’embarqueront pour plusieurs mois, afin de s’élever à toutes les hauteurs, de parcourir tous les climats, et dans toutes les saisons, faire des observations sur la Physique, la Météorologie et l’Astronomie, etc. Cet aérostat, en pénétrant dans des déserts, visitant sans fatigue, des montagnes inaccessibles aux moyens ordinaires de voyage, et franchissant des lieux où l’homme n’a jamais pu pénétrer, servirait à des découvertes géographiques ; et lorsque, sous la ligne, la chaleur du soleil rendrait le voisinage de la terre insupportable, nos voyageurs aériens s’élèveraient dans une région où l’air est frais et d’une température presque toujours égale : ou bien lorsque leurs observations, leurs besoins ou leurs plaisirs l’exigeraient, ils pourront voyageur à une faible distance de la terre et planer à 15 toises, de manière à tout voir, à dessiner, dresser des plans, se faire entendre et pouvoir même arrêter la marche [13] de l’aérostat en jetant l’ancre. Il serait peut-être possible, en profitant des vents alizés, de faire le tour du globe. L’expérience apprendra peut-être un jour, aux hommes étonnés, qu’une navigation aérienne, présente moins d’inconvénients, moins d’écueils, que celle de l’Océan.
L’immensité des mers semble seule présenter des dangers insurmontables ; mais quel espace immense ne peut-on pas franchir en six mois avec une machine aérostatique, pourvue de tout ce qui est nécessaire à la vie et à la sûreté des aéronautes ? D’ailleurs, si par l’imperfection attaché à tout ce que crée l’industrie humaine, si par accident, ou par vétusté, si l’aérostat dirigé au-dessus des mers, devenait incapable de porter les voyageurs, il est pourvu d’un navire qui peut tenir la mer et assurer le retour des Aéronautes.

[14] DESCRIPTION DE LA MACHINE

N°.1 Le coq est le symbole de la vigilance, c’est aussi le point le plus élevé de l’aérostat ; un observateur intérieurement placé à l’œil de ce coq, surveille tout ce qui peut arriver dans l’hémisphère supérieur du ballon ; il annonce aussi l’heure à tout l’équipage. On conçoit que les objets indiqués sous les numéros, 1, 2, 3, sont uniquement dessinés pour l’effet, et flatter l’imagination.
A. Ballon de 150 pieds de diamètre, en soie écrue, fabriquée exprès à Lyon, verni intérieurement et extérieurement avec le caoutchouc. Ce globe enlève un navire qui réunit toutes les choses nécessaires aux commodités, aux observations, et même aux plaisirs des voyageurs.
B. Petit navire, pourvu de sa voilure, [15] agrès, et capable de tenir la mer, afin que si le ballon porté sur l’Océan, ne pût, par vétusté, servir, les voyageurs eussent le moyen de se séparer de l’aérostat et revenir par mer.
C. Échelles en soie, pour communiquer facilement dans tous les points du globe.
D. Grand magasin, ou cave pour conserver l’eau, le vin et toutes les substances alimentaires de l’expédition, il sert en même temps de contrepoids au ballon.
E. La cuisine sans cheminée, et très éloignée du ballon, c’est le seul endroit où il soit permis de faire du feu.
F. Atelier pour la menuiserie, la serrure- la mécanique et la buanderie, etc.
G. Logement pour quelques dames curieuses ; ce pavillon est éloigné du grand corps de logis, crainte de donner des distractions aux savants voyageurs.
H. Le laboratoire de chimie.
I. L’observatoire où sont les boussoles, [16] les instruments astronomiques et les quarts de cercle pour prendre la latitude.
K. Salle de l’académie pour les conférences scientifiques.
L. Lok ou flotteur pour connaître, dans quelques circonstances, la marche du vaisseau.
M. Salle destinée aux récréations, à la promenade et aux exercices gymnastiques.
N. Salon pour la musique, orgue, etc.
O. Grande voile destinée à connaître quand l’aérostat monte ou descend : elle n’a pas la direction pour objet : en attendant cette difficile découverte, la Minerve est destinée à suivre la direction de l’air. Vers quelque partie du monde que soit porté l’aérostat, il y aura certainement des observations à faire.
P. La soupape.
Q. Aiguille qui marque en D, la dilatation et en R la condensation du gaz contenu dans le globe.
[17] S. Salle d’étude, cabinet de physique et d’histoire naturelle, etc.
X. Tentes des gardes.
T. Petit ballon que l’on remplit par le moyen du grand : on peut le considérer comme la chaloupe du grand ballon, et destiné à en faire la visite. Lorsqu’il a servi, on réintroduit le gaz par le tuyau supérieur.
W. Expérience du double parachute inventée par M. Robertson et exécutée en 1803 à St.-Pétersbourg et à Vienne etc. (Note 4me).
Chaque aéronaute serait obligé, tout le temps du voyage, de porter sur soi un semblable parachute, qui ne pèse que 9 livres, quoiqu’il ait 20 pieds de diamètre.

[18] Calcul des poids que 1,767,150 pieds cubiques de gaz hydrogène contenu dans le ballon auraient à élever.
Poids du ballon en soie double, vernissé, recouvert d’un manteau en cuir qui tiendra lieu de filet 6,300
Poids de 60 personnes 9,000
Objets d’utilité, linge et vêtements, etc. 3,000
Poids des instruments de physique, d’histoire naturelle et de pharmacie, etc. 1,000
Poids du vaisseau avec ses cordages, et ses agrès 80,537
Poids des vivres pour 5 ou 6 mois 48,200
Poids des meubles et objets non prévus, ainsi que du lest 1,000
Total 149,037
[19] Cet aérostat, inconnu dans les annales de l’aérostation, et qui semble gigantesque dans sa conception, est digne de fixer l’attention de toutes les corporations savantes de l’Europe. En se cotisant pour en ordonner la construction, elles acquéreraient le droit de nommer chacune un ou deux membres pour monter dans ce vaisseau et tenter de nouvelles découvertes. Si 55 ascensions exécutées dans toutes les cours de l’Europe, honorées de la présence de presque tous les souverains, faites dans toutes les saisons, à toutes les températures et dans toutes les élévations, peuvent être un titre à la confiance (Voir la note 5) le physicien Robertson obtiendrait sûrement l’honneur d’être le pilote de cette intéressante expédition, et conséquemment chargé avec un autre célèbre aéronaute, de l’exécution de cette immense machine dont la construction ne coûterait pas plus qu’un vaisseau de guerre.

[20] NOTES

Ire NOTE
Le Phonorganon, ou machine parlante, dont la perfection a coûté dix ans de recherches à M. Robertson, est contenu dans une caisse (A, fig. Ire) de deux pieds de long. Il est composé d’un petit sommier auquel sont fixés des tuyaux, partie en bois, partie en cuir et métal. Des clavettes communiquent à ces tuyaux. À l’extérieur le Phonorganon présente l’apparence d’un enfant placé sur une caisse, dans la partie latérale de laquelle le physicien introduit les mains pour toucher un petit clavier, qui ouvre les soupapes et donne issue à l’air, qu’il modifie plus ou [21] moins bien, selon le talent et l’intelligence des doigts. (A figure I)
M. Robertson a observé qu’avec une grande application et beaucoup d’adresse, il serait possible de faire chanter le Phonorganon, mais sans articuler les mots. Alors il rentrerait dans la classe des instruments à vent. Il n’ajouterait rien à nos richesses musicales. Y aura-t-il jamais d’instrument plus parfait que la voix de l’homme ?

IIme NOTE
Sur M. Degen
J’ai été particulièrement lié avec M. Degen ; c’était un horloger estimable, instruit et du premier mérite dans son art ; il suivit avec une scrupuleuse attention les deux expériences aérostatiques que je fis dans le Prater à Vienne, en 1803. Celle de la descente en parachute l’occupa particulièrement. [22] Après mon départ pour St.-Pétersbourg, il construisit un petit aérostat, en tout semblable à celui dont je m’étais servi, à l’exception que son filet, en soie, était d’une extrême légèreté. Dans les expériences que M. Degen fit au Prater et à Paris, il été suspendu à son ballon par une ceinture de cuir, qui embrassait aussi les cuisses : de cette manière, ayant les pieds et les mains libres, il s’en servait à monter et descendre deux leviers pour faire mouvoir des espèces d’ailes qui avaient tout l’air de deux petits parachutes déployés, et qui semblaient plutôt placés par prudence en cas de chute, que pour la direction. (B figure 2)
Assuré qu’il n’y a pas en Europe de capitale où l’on rendu plus de justice au talent qu’à Paris, M. Degen s’y rendit malgré mes avis. On connaît son désappointement. Je l’avais prévenu que les Français, moins indulgents que ses compatriotes : Regarderaient de quel côté vient le vent. D’ailleurs, [23] il est douteux qu’il ait eu à Vienne un succès aussi complet qu’il l’assurait ; car voici des vers qui parurent le lendemain de son expérience.
Hier oben chr dir, Wiener-Bürger, Jacob Degen,
Da hab’ ich, und wer Menschenfreund ist, nichts entgegen;
Doch dafs geflügelt Dui m wahren Sinne Sand
Dem Volk in’s Auge streu’st – halt! das ist Kontraband.

Et voici ceux qui furent faits à Paris.
Mais l’institut des hirondelles,
Fait cette double question :
Fut-il enlevé par ses ailes,
Ou le fut-il par son ballon ?
Lors un moineau très estimable,
Au conseil étant appelé :
Dit, sans un peu d’air inflammable
Je doute fort qu’il eût volé. etc.

IIIme NOTE
Sur M. Pauli (C figure 3)
Je dois prévenir que M. Pauli de Genève, a pris l’idée de son aérostat et des moyens [24] de direction, dans l’ouvrage de M. le baron Scott, capitaine de dragons en France, imprimé en 1789. En général, la nation française n’a rien à envier aux autres nations sous le rapport des inventions. Le procédé de MM. Scott et Pauli, consiste à donner au ballon la forme d’un poisson, et à imiter le mouvement des ailes ou des nageoires des poissons. Ces nageoires qui s’ouvrent et se ferment, sont attachées à l’équateur de l’aérostat. Pour leur donner du mouvement, M. Pauli a manqué contre les principes, en séparant sa gondole du corps de l’aérostat. C’est de la résistance qu’éprouve un corps lorsqu’il frappe rapidement la masse de l’air, que M. Scott veut obtenir la direction. On ne peut nier que l’air n’offre pas un point d’appui, car l’oiseau qui pèse, n’en a point d’autre pour s’y élever. L’aérostat n’a pas de poids, son volume ne doit pas alarmer ! L’expérience de M. Pauli s’exécuta dans le parc de Sceaux, le temps lui fut fa- [25] vorable, et le ballon parut, à plusieurs reprises, céder aux efforts des deux voyageurs qui descendirent heureusement à Olinville, près Arpajon, dans le parc de S. E. le ministre Chaptal. On fit l’année suivante un second essai moins heureux, dans la plaine des Sablons. Si ces expériences n’eurent pas le résultat qu’en espérait le protecteur de M. Pauli, on peut l’attribuer à l’inexpérience : 1° M. Pauli fut obligé de construire son ballon, et ce fut là une science nouvelle pour lui, qui le détourna et l’occupa plus sérieusement que la découverte elle-même. 2° Le diamètre du ballon était trop petit. 3° M. Pauli n’avait jamais monté, et c’est par où tous ceux qui désirent faire des observations en ballon, ou tenter quelque chose de neuf, devraient débuter. Il faudrait être calme et sans distraction pour observer, pour étudier. Il faudrait n’avoir pas à s’occuper des soins attentifs et continuels qu’exige cette voiture, dont on ne peut arrêter la marche [26] qu’en touchant la terre, et dont la vitesse et le danger augmentent en proportion de son élévation. Il faudrait, pour ainsi dire, être familiarisé avec le spectacle de ce nouveau monde dont l’immensité se montre à l’homme pour la première fois. Tout ce qu’on voit, tout ce qui se passe sur ce théâtre mobile, est bien fait pour embrasser et suspendre toutes les facultés de l’âme. Là on ne sent pas les choses comme sur la terre ; l’imagination, les idées semblent s’agrandir ; c’est là où il faut aller pour devenir poète.
M. Pauli devait répéter ses essais à Londres ; il avait trouvé dans la grande fortune de M. Egg, les moyens de surmonter tous les obstacles. On fit venir de Paris, MM. Bollé père et fils pour construire en baudruches, un poisson de 90 pieds de long, et 24 de diamètre. Les 2 nageoires ont 30 pieds, et la queue ou gouvernail 15. Cette immense machine vernie deux fois, parfaitement exécutée, est conservée dans une construction [27] en planches de la longueur de 115 pieds. Il est pénible de dire, que l’intérêt qui est l’ennemi de la gloire, est venu diviser l’inventeur et le capitaliste. On devait s’attendre que M. Pauli n’oublierait pas sitôt l’intérêt de sa gloire et de sa réputation, et qu’au moment où tous ces difficiles travaux venaient d’être terminés avec succès, il n’abandonnerait pas son associé, M. Egg, après lui avoir fait dépenser plus de 300,000 fr.
M. Pauli, en donnant 90 pieds à son aérostat, a reconnu sans doute dans ses premiers essais, l’avantage d’avoir une grande force ascensionnelle, et capable d’enlever à volonté, 8 à 10 personnes. Il est évident que cette augmentation de diamètre ne peut pas nuire aux efforts des voyageurs, car il y a un principe favorable à la direction des aérostats, c’est que les diamètres n’augmentent pas dans la même proportion que leurs sphères. Il y a un terme où quelques pouces de plus ajoutés au diamètre du ballon, le rendraient capable d’élever le double de son premier poids. Cette vérité une fois établie, il n’y a plus à désirer qu’un mécanisme ingénieux et le moyens pécuniaires. Car qui empêcherait d’enlever une machine à vapeur capable de faire agir des forces doubles ou égales à celles que présent l’aérostat, et agissant en sens inverse de la direction du vent ? N’est-il pas évident qu’en admettant 10 degrés de vitesse par seconde, à la marche du vent, si je parviens à donner à mes surfaces mobiles ou nageoires, une vitesse + à 12 degrés, j’aurai gagné 2 degrés sur la direction du vent ? Le peu que m’ont appris 55 voyages aérostatiques, et tout ce dont est capable le génie français, me font croire à la possibilité de cette direction. Tout Paris a vu dans mon cabinet de physique, un mécanisme dont le ressort une fois remonté faisait mouvoir et obliquer des rames qui conduisaient un petit aérostat dans la direction que je désirais. D’ailleurs, [29] tout ce que dans mes voyages j’ai recueilli d’instruction de l’entretien des personnes, qui dans le monde savant doivent faire autorité, m’oblige d’avouer franchement que jusqu’à présent personne n’a encore pu démontrer cette impossibilité. Attendons, espérons ! Lorsque le galvanisme petit à petit découvre à l’homme studieux ses inépuisables phénomènes, pourquoi la science des aérostats ne se perfectionnerait-elle pas ? Son plus grand obstacle, ce sont les dépenses énormes qu’exigent ses expériences. Les ignorants qui courent cette carrière n’ont jamais pu y acquérir de la fortune ; et les essais de MM. Egg et Pauli ont coûté 300,000 fr. Mais il peut naître un Archimède. Il a fallu un Mécènes pour faire un Virgile : il ne faudrait qu’un Alexandre pour créer un Icare .
[30] IVme NOTE
De parachute.
Il est en taffetas, de 22 pieds de diamètre, et ne pèse que neuf livres. Au bord extérieur de la gondole se trouve fixé un second petit parachute dont les extrémités inférieures sont retenues par des cordages fixés au dessous de la même gondole. M. Robertson en fit le premier essai en 1803 dans l’enceinte du corps impérial des Cadets à St.-Pétersbourg. C’est sans doute par faiblesse… de mémoire que M. Jacques Garnerin s’est attribué cette belle descente de parachute citée dans un ouvrage qui vient de paraître. (Voyez les Souvenirs d’un voyage en Livonie, Rome, Naples, par Kotzebue. Chap. VIII. tome Ier.) La perfection de ce double parachute est assurée par les expériences qu’en a faites M. Robertson à St.-Pétersbourg, Vienne, deux fois à Moscou, à Copenhague, Paris, Ber- [31] lin et Lisbonne. Ce parachute que tous les aéronautes ont à l’instant imité, est si commode par sa légèreté, sa petitesse et sa forme, qu’il peut servir dans un incendie, et qu’il n’a pas besoin du secours du second petit parachute pour descendre d’une manière sûre et sans la moindre oscillation. On doit présumer que celui dont s’est servi M. Garnerin, n’avait ni le poids, ni les dimensions requises, puisque dans les deux seules villes, Paris et Londres, où cet aéronaute a fait cette expérience, il oscillait d’une manière si effrayante. (D figure 4.)

Vme NOTE
M. Robertson a fait cinquante-cinq voyages aérostatiques, dont les plus remarquables sont : I°. Celui exécuté à Hambourg le 18 juillet 1803 avec M. Lhoest dans un ballon de 35 pieds dans son grand diamètre, et de 32 dans l’autre, qui avait servi à la bataille de Fleurus. Cette expérience est la plus remarquable de toutes celles qu’a faites en trente ans M. Robertson, tant par la possession de l’aérostat le plus grand et du temps l plus beau de la nature, que par les circonstances heureuses qui ne dépendant pas de l’homme. Cette ascension particulière fut consacrée à des recherches scientifiques, et encouragée par des savants du premier mérite. MM. les médecins Reymarus, le docteur Meyer, les physiciens Graft, Hermstaed, Berthaux, Nicolson, Arkenhole, le chimiste Klaprode, etc.
Dans cette expérience, M. Robertson est le premier qui ait osé s’élever à 3,670 toises, c’est peut-être le point le plus élevé où l’homme puisse atteindre sans risquer de perdre la vie. À cette élévation, le soleil n’avait ni l’éclat, ni la chaleur qu’il a sur la terre. Le ciel au-dessus de la tête des aéronautes n’était plus d’un bleu azuré, mais d’une [33] couleur rembrunie et semblable à une profondeur sans lumière ; le gaz hydrogène sortait avec impétuosité du ballon. Ils eurent une légère hémorragie. À cette hauteur les facultés morales se perdent avant les facultés physiques : la mémoire s’éteint, le ballon marche sans surveillance. Les deux aéronautes succombèrent insensiblement à un sommeil qui eut été fatal s’il se fut prolongé : mais la partie inférieure du ballon que M. Robertson ne ferma point, donna la liberté au gaz chassé par la dilatation. Ils sortirent de cet assoupissement tous les deux à la fois, et subitement, parce que le ballon, en descendant, les ramena dans un air plus respirable. Ils ne savaient ce qui venait de se passer, ils sentaient seulement qu’il y avait eu une solution de continuité dans leurs idées et leurs occupations, etc.
L’aérostat resta plusieurs heures stationnaire, et comme un point imperceptible au zénith de la ville de Hambourg, dont la po- [34] pulation réunie à celle d’Altona, fut témoin de cette expérience. (Voyez le rapport intéressant de M. Izarn dans le Moniteur de France, n°. 124, de janvier 1804.)
Deux ans après cette expérience, MM. Gay-Lussac et Biot se sont élevés à la même hauteur, et ont répété à peu près les mêmes expériences.
2°. En 1803, Robertson accompagné de M. l’académicien Zacharof, fit une ascension à St.-Pétersbourg, pour l’académie impériale des sciences, elle fut prolongée une grande partie de la nuit.
3°. Le 17 janvier 1804, il exécuta une ascension à Vilna, par la température de 18 degrés de froid, du thermomètre de Réaumur. Le développement du gaz était lent et difficile : le vernis du ballon était cassant, et menaçait le succès de l’expérience. Depuis un mois le ciel était couvert d’une brume qui empêchait de voir le soleil. Lorsque l’aéronaute, à 800 toises environ, eut tra- [35] versé cette couche de vapeurs, le soleil lui apparut brillant de tout son éclat. Cette brume à sa partie supérieure était nivelés, et paraissait une me calme dont l’aérostat semblait sortir.
4°. L’ascension de 1819 à Lisbonne, a présenté une température bien opposée à celle que nous venons de citer. Elle se fit au soleil, à la température de 31 degrés de chaleur du thermomètre de Réaumur. L’aérostat passa par-dessus les montagnes de Cintra, qui, malgré leur élévation connue, ne parurent qu’une surface plane. Le voisinage de l’Océan rendait cette expérience extrêmement dangereuse.
5°. L’ascension que ce physicien fit exécuter à son fils le 12 décembre 1819, a étonné toute la ville de Lisbonne par sa hardiesse. À la hauteur d’environ 2,500 toises, M. Eugène Robertson fils, s’est détaché de son aérostat, et descendu dans le parachute cité plus haut. Pendant sa descente qui dura [36] plus d’une heure, il joua continuellement du cor afin de donner une idée de sa sécurité. La quatrième ascension que fit à Porto, ce jeune aéronaute, le 25 juin 1820, pour la fête du roi, fait espérer qu’il marchera avec honneur dans la carrière de son père.
FIN


Il faut beaucoup d’exercice et une grande attention pour saisir sur le Phonorganon la manière dont nous formons les mots avec les secours simultanés du souffle, de la langue, des dents et des lèvres. Les mots que je suis parvenu à former d’une manière claire et précise, sont :
Ma bonne, mon cher papa, ma chère maman, bon jour Monsieur, bon jour Madame, mon frère, ma sœur, mezna schoester, geroboam, vivat le Roi, une charmante Dame. Vivat l’empereur Alexandre, ma chère femme, Robertson, j’ai une pomme dans ma poche, etc. ; au nombre de deux cents mots.
Le trompette mécanique est construit à peu près sur les mêmes principes que le Phonorganon. Au moyen d’un rouage d’horlogerie, il n’a pas besoin du secours de la main de l’artiste, un cylindre détermine les airs et tous les sons qu’il tire d’une seule trompette qu’il tient à la main.
Ces deux intéressantes machines font partie du beau cabinet de Physique de M. Robertson, dans sa maison, hôtel d’Yorck, boulevard Montmartre, n°. 12, à Paris, où les amateurs ont vu, chaque soir, tout ce que la physique, l’optique et la mécanique offrent de plus intéressant.

Pedes habent et non ambulabunt.
Traduction convenable.
« Ils ont des pieds, pourquoi ne marchent-ils pas ? »

« Quel est donc ce risible orgueil qui s’imagine follement avoir posé les limites d’un art ? »



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